Bordeaux
« J’ai toujours eu peur d’être reconnue comme juive. Même après la guerre, je ne le disais pas… »
Nous avons rencontré Alice en janvier 2022, chez elle, à Bordeaux. Elle nous a ouvert les portes de sa maison pleine d’objets-souvenirs et de photos.
Alice est née à Bordeaux le 27 août 1930. Elle est issue d’une grande fratrie de huit frères et sœurs. À la tête de la famille, ses parents Marie, d'origine algérienne et Nissim, d'origine marocaine veillent au grain. Ils sont arrivés en France en 1929. Ses grands-parents maternels, Esther et Salomon, toujours en Algérie, font aussi partie de la vie d'Alice.
Alice se souvient d’avoir pratiqué les principales fêtes juives à la maison, et d’être allée à la synagogue le jour de Kippour.
Le jour de la déclaration de guerre, Alice a 9 ans. Elle se souvient de l’air triste de son père quand il a annoncé à la famille : “C’est la guerre…”.
En 1940, son père est forcé de poser devant son magasin une affiche sur laquelle il est inscrit “Boutique juive”. “Plus personne ne venait…” déplore Alice.
Les parents d’Alice se font recenser. Un tampon “Juif” est apposé sur leurs cartes d’identité.
En 1942, sa mère va chercher les étoiles jaunes obligatoires, “avec les tickets de textile” précise Alice.
La première fois qu’elle va à l’école avec son étoile jaune, Alice a tellement honte qu’elle reste dans le couloir. “La maîtresse avait averti les élèves et avait bien demandé qu’aucun commentaire ne soit fait.” raconte Alice.
Un jour, le père d’Alice est averti du danger d’une prochaine arrestation. La famille se sépare. Les parents partent à Agen et Alice - avec quelques-uns de ses frères et sœurs - prend la direction de La Réole. Là, ils doivent attendre un camion censé les récupérer. Les enfants attendent dans un café, mais aucun camion ne vient.
“La dame qui tenait le café devait fermer. Ne sachant quoi faire de nous, elle a appelé la police. Le Commissaire nous a fait dormir dans un centre d’accueil. Je n’ai pas dormi de la nuit…” témoigne Alice.
Le camion arrive finalement le lendemain et les enfants retrouvent leurs parents à Agen.
Robert, l’un des frères d’Alice tombe gravement malade. Un soir, voyant l’état de son frère se dégrader, Alice appelle ses parents et va chercher un médecin. Hélas, Robert meurt dans la nuit.
“Ma mère était inconsolable. Elle pleurait du matin au soir…” se souvient Alice, très émue.
La famille part ensuite à Marseille et loge dans un hôtel pendant quelque temps.
Le père d’Alice veut partir au Maroc et organise le départ de la famille à bord du “Jonas”. Mais la veille du départ, la famille comprend que la traversée est finalement impossible.
Ils sont alors accueillis dans un centre de réfugiés. Le père d’Alice prend soin de cacher le tampon “Juif” des cartes d’identité d’un timbre et personne n’est déclaré juif.
Alice et sa famille partent ensuite pour Jouques, dans l’arrière-pays. Alice va à l’école. “Je ne devais jamais dire que j’étais juive.” précise-t-elle.
Quand on lui demande si elle a eu peur, Alice répond qu’elle n’a jamais cessé d’avoir peur. “J’ai toujours eu peur d’être reconnue comme juive. Même après la guerre, je ne le disais pas…”.
Un jour, les Allemands pénètrent dans le village et tuent quinze maquisards. Peu de temps après, les avions américains ont commencé à survoler la zone et à bombarder certaines installations. La famille d’Alice part alors se cacher dans une ferme.
Un matin, Alice entend son père s’exclamer : “Les Américains sont là !”. “J’ai fait la fête toute la journée ! J’ai mangé tellement de chocolats que j’en ai été malade !” se souvient Alice, rieuse.
Aujourd’hui, Alice est heureuse grâce à ses enfants, ses petits-enfants et ses arrières-petits-enfants, et grâce à toutes les lettres d’écoliers qu’elle reçoit après ses témoignages.
Elle est fière de l’Etat d’Israël où elle se rend tous les ans depuis 1974. Elle considère d’ailleurs David Ben Gourion comme l’un de ses héros.