Arlette Testyler

Paris

« S’il y a une chose qui m’angoisse encore maintenant, c’est le Vélodrome d’Hiver. Moi qui étais plutôt une enfant turbulente, j’étais tétanisée. »

 

 

À Paris, le soir du 15 juillet 1942, quand Arlette, 9 ans, va se coucher dans son lit d’enfant au 114 rue du Temple, elle ignore qu’elle n’y dormira pas la nuit d’après, ni celles qui suivront. Elle ignore qu’elle n’y dormira plus jamais.

Arlette Testyler, née Reiman, vit déjà à cette époque sans son père Abraham. Sommé de se présenter au commissariat de Police le 14 mai 1941, il est interné au camp de Pithiviers depuis lequel il sera ensuite déporté à Auschwitz via Drancy, le 25 juin 1942, par le convoi numéro 4.

La petite Arlette a une sœur, Madeleine “Mado”, et une mère plutôt téméraire, au caractère bien trempé, Malka. C’est Malka Reiman qui, alors que l’aube n’est pas encore levée, ouvre la porte à ceux qui tambourinent comme des sourds et crient “Police ! ”. 

 

Nous sommes le 16 juillet 1942 et la journée débute sur un dialogue kafkaïen : les fonctionnaires de police de Vichy viennent arrêter Abraham Reiman…. Malka, agacée, rétorque que les mêmes services de police l’ont arrêté et interné plus d’un an auparavant. 

Qu’à cela ne tienne, sur un mouvement d’humeur, ou par conviction profonde reposant sur “le sens du devoir ”, la police entre dans l’appartement et ordonne l’arrestation immédiate de Malka Reiman, Arlette Reiman et Madeleine Reiman. 

C’est ça, la rafle du Vel d’Hiv : des juifs pris au saut du lit, l’esprit encore embrumé par le sommeil interrompu brutalement, des enfants qui ne comprennent pas grand-chose, des mères qui comme celles d’Arlette, de colère et de désespoir, balancent sur les gendarmes tout ce qui tombe sous la main. Mais rien n’y fait : pour les familles arrêtées, direction le Vélodrome d’Hiver, dans le 15ème arrondissement de la capitale. 

Et à l’intérieur, Arlette dit “c’était l’enfer de Dante”: les cris, la lumière permanente, les enfants qui hurlent, l’odeur insoutenable, l’hygiène inexistante, la faim, la soif, la chaleur étouffante, la rareté de l’air, les désespérés qui se jettent du haut des gradins.

 

Trois jours plus tard, Arlette, sa sœur et sa mère sont déportées au camp de Beaune-la-Rolande dans le Loiret. Sentant l’étau se resserrer irrésistiblement, Malka joue son va-tout : elle parvient à convaincre le chef allemand qu’elle possède une machine de fourreur qu’elle a cachée quand ont débuté les spoliations des biens juifs, et que, bien entendu, elle seule connaît cette cachette. Le Reich a besoin de ce type de machine pour l’effort de guerre et aussi incroyable que cela puisse paraître, le subterfuge fonctionne, et Malka, Arlette et Madeleine Reiman sont libérées de Beaune la Rolande le 24 juillet 1942.

 

Les mois et les années qui suivent ont été pour Arlette des souvenirs plus heureux. Cachée chez Jean et Jeanne Philippeau à Vendôme, elle peut retrouver grâce à ce couple aimant, l’insouciance de l’enfance. 

Elle n’est pas la seule enfant juive cachée dans cette famille, il y en a un tas d’autres qui sont chez les beaux-frères, les cousins. 

De ce couple, Arlette se souvient de l’extrême pauvreté. Jean Philippeau était sabotier. “C’était des gens très simples, très pauvres. Nous les enfants, on était très turbulents, on leur faisait les 400 coups”. Arlette et sa sœur sont restées cachées chez ce couple de Tourangeaux jusqu’à la fin de la guerre. Malka, la mère, est allée de planque en planque jusqu’à la libération, employant ses talents de cuisinière ici et là pour subvenir à ses besoins.

 

1945, retour à Paris. Plus d’appartement rue du Temple, il a vite été reloué par la concierge… alors ce sera un petit deux pièces dans le 14ème arrondissement.

À rebours de la France entière, Malka comme beaucoup d’autre juifs, n’a pas le cœur à la fête : voici 3 ans qu’elle est sans nouvelle de son époux Abraham. Alors, elle cherche. Tous les jours, elle questionne : l’a-t-on vu ? Ou rencontré ? Peut être juste aperçu ? Puis la nouvelle tombe, aussi froide que la lame du couperet : Abraham a été assassiné dans les chambres à gaz d’Auschwitz-Birkenau. C’est fini. Malka n’a pas survécu à cette réalité-là, Arlette n’a pas encore 13 ans et elle est orpheline.

Arlette a ceci de commun avec sa mère : elle a rencontré le grand amour. Il porte le nom de Charles, Charles Testyler, un jeune juif polonais fraichement arrivé en France et qui, lui, a survécu 3 ans, entre 1942 et 1945 à sept camps en Pologne. Charles et Arlette étaient inséparables, indestructibles et éternellement amoureux. Ils ont fondé ensemble l’association Mémoire et Vigilance et ont emmené quantité de lycéens français en Pologne et à Auschwitz.

 

Aujourd’hui, Arlette est veuve, mais la présence de Charles est partout dans ce magnifique appartement où nous l’avons écoutée. Ce couple d’orphelins, parti de rien, a su grâce à un travail acharné, s’installer confortablement au cœur de Paris.

Arlette dont on devine, à l’intelligence du regard et au sourire malicieux qu’elle arbore, la petite fille un peu garçon manqué, un peu casse-cou qu’elle fut, dit que Charles était son héros dans la vie, qu’elle place tout de même en “concurrence” avec Joseph Kessel, un homme qu’elle admire. Ce qui lui fait peur aujourd’hui, c’est “la violence parfois de la jeunesse, qui s’attache plus à ses droits qu’à ses devoirs” mais elle porte, dit-elle, l’espoir de se tromper.

Pour Arlette, rien n’est plus précieux que la liberté, et rien n’est plus important à transmettre que la tolérance. La petite fille du Vel d’Hiv est devenue cette femme particulièrement cultivée, aussi passionnée de littérature que l’était son père, belle, lucide, et tendre.