Armand Aron Bulwa

Paris

« On a exterminé tous les miens, et aujourd’hui, ma fille crée des vies…»

 

Nous rencontrons Armand en novembre 2021, au cœur d’une journée glaciale d’automne. Ce jour-là, comme bien souvent d’ailleurs, il est en compagnie de sa fille, Sylvie.

Armand naît le 27 décembre 1928, à Piotrków, près de Lodz, en Pologne. Il a un petit frère, Moniek. En Pologne, Armand vit avec ses parents et sa grand-mère maternelle, qui l’élève en partie. Elle cuisine beaucoup, “et bien !” ajoute Armand, précisant certaines de ses spécialités culinaires parmi lesquelles la carpe farcie à la polonaise.

 

 

En 1939, Armand et sa famille sont enfermés dans le ghetto juif de Piotrków. Il n’en sort que pour travailler dans une verrerie, son père lui ayant fait faire de faux papiers afin qu’il présente l’âge légal de 14 ans pour travailler.

Un jour d’octobre 1942, on lui annonce qu’il ne quittera pas l’usine de verrerie pendant sept jours. Sept jours, c’est le temps qu’il faut aux Nazis pour liquider le ghetto. 22 000 juifs sont assassinés et déportés.

Plus tard, il apprendra que sa grand-mère, qui marche difficilement, est traînée dans la cour de l’immeuble et fusillée. Armand raconte la scène, les yeux dans le vide, et on sent son cœur battre plus vite au creux de sa poitrine.

Sa mère et son frère sont arrêtés et déportés à Treblinka, où ils meurent tous les deux.

 

Armand est ensuite ramené au ghetto puis envoyé à Częstochowa où il travaille dans une fonderie. C’est à ce moment-là qu’il perd la trace de son père, déporté à Skarzysko.

 

En janvier 1945, Armand est déporté à Buchenwald. Il voyage dans un wagon à bestiaux ouvert, en plein hiver. Armand a 16 ans quand il arrive dans le camp de concentration.

À Buchenwald, Armand est envoyé dans un Kommando de travail. “On y faisait des travaux insensés ! On portait des pierres, on les déplaçait, puis on les rapportait au même endroit…”. Un jour, Armand fait un malaise. Un SS le bat si violemment qu’il lui casse trois dents.

Dans le Block 8, il rencontre Lolek. “Lolek m’a sauvé la vie. On m’avait attribué un pantalon beaucoup trop large. Fin janvier, un garçon est arrivé de Lodz. On lui a donné un caleçon et deux ceintures. Quand il m’a vu tenir mon pantalon pendant les interminables appels du matin, il m’a donné l’une de ses ceintures. Je pense qu’il m’a sauvé la vie.”

Armand et Lolek sont amis depuis ce jour-là. Armand nous demande d’ailleurs de placer sa photo à côté de celle de Lolek, “pour qu’on soit ensemble !”.

 

 

“À la libération du camp, on avait faim, on était abrutis." raconte Armand, manquant presque à nouveau de souffle à l'évocation de ce souvenir.

Il est d’abord pris en charge par l’armée américaine qui lui demande où il veut aller. “Certains sont partis en Palestine. Tout a été organisé.” explique Armand.

Il fait alors la connaissance de Haïm Kaplan, Aumônier de l’armée américaine qui fait appel aux organisations juives internationales pour accueillir les enfants. C’est ainsi qu’Armand est finalement pris en charge par l’Oeuvre de Secours aux Enfants (OSE), parmi les 426 enfants de Buchenwald que l’association accueille.

Il est emmené à Écouis, en Normandie, avec les autres “enfants de Buchenwald”.

 

 

Quelque temps après son retour, Armand recherche des membres de sa famille. Il rencontre une famille Bulwa, mais apprend vite qu’elle n’est pas liée à la sienne. Cependant, il sympathise avec eux et tombe amoureux de Suzanne Bulwa !  “J’ai donc épousé une Bulwa !” déclare-t-il fièrement.

Sa fille Sylvie, amusée, déclare de son côté qu’elle est “une vraie Bulwa, des deux côtés !”.

Armand devient tailleur, puis employé de banque. Il s'installe avec Suzanne, et se marie plus tard. “On vivait ensemble sans être mariés ! J’ai révolutionné Paris !” confie-t-il dans un éclat de rire.

Des années plus tard, Armand - qui est devenu un témoin essentiel auprès des élèves - fait un voyage de mémoire à Buchenwald. Avec ses amis, anciens déportés, il reconnaît le “Petit camp”, abandonné. En 1944, cet endroit du camp était devenu un lieu où mouraient et végétaient les détenus malades, parmi lesquels des milliers de juifs. Grâce à leur reconnaissance du lieu, le Petit camp a été restauré et figure maintenant parmi les lieux de mémoire.

Aujourd’hui, Armand est très fier de Sylvie, médecin gynéco-obstétricienne. “Vous voyez, on a exterminé tous les miens, et aujourd’hui, ma fille crée des vies…” nous dit-il en jetant un regard plein de tendresse à Sylvie.

 

 

Il est aussi très fier d’être Français. “J’ai appris le français en laissant la radio toujours allumée. J’ai été naturalisé et j’ai toujours été très content d’être Français !”

Ce qui le rend heureux ? Un repas juif ! Des carpes sucrées, du borscht, des harengs, et de la vodka. On prend rendez-vous avec Armand pour partager ce fameux repas juif. Pas question de rater ça !

Nous sommes restés longtemps chez Armand. A la fin de notre échange, au milieu des photos, nous lui demandons ce qu’est, pour lui, la liberté. “La liberté, c’est de vivre en France !” répond-il sans hésiter.