« Dans le village, ils nous traitaient de ‘sales juifs’ mais ne nous ont jamais dénoncés…»
Nous avons rencontré Bella chez l’une de ses amies, Madame Chkroun, à Bordeaux. Ce jour-là, Didier, le fils de Madame Chkroun est là également.
Bella a mis un beau pull clair. Sans même avoir échangé un mot avec elle, nous sentons toute la fragilité qui l’habite. Avec pudeur, elle a accepté de nous raconter son histoire.
Bella est née en 1931 dans les Bouches-du-Rhône. Elle a quatre frères et sœurs. Ses parents sont originaires de Turquie mais ont été naturalisés dès leur arrivée en France.
Quand on lui demande quel était le rapport de sa famille au judaïsme, Bella répond sans hésiter : “À outrance !”. Ses parents sont très respectueux des traditions, de la cacherout, du Shabbat, et des fêtes juives.
“Aujourd’hui, je reste très juive, mais pas pratiquante” tranche Bella.
Bella se souvient des premières années de la guerre et des restrictions imposées aux Juifs. “Je me souviens bien de la carte d’identité marquée du tampon “Juif”. Et du recensement… où nous sommes allés car nous étions dociles et obéissants…”.
En 1942, la famille trouve refuge près d’Aubagne, dans une maison quasiment vide. Tous leurs biens ont été spoliés, et notamment le magasin d’huiles des parents de Bella. “Ils ont tout fermé, et pris tout notre argent, tout ce que l’on possédait” souffle Bella.
Près d’Aubagne, Bella et ses frères et sœurs continuent de fréquenter l’école quelque temps. Tenaillés par la peur quotidienne des arrestations, ils cessent finalement d’y aller.
Au village, tout le monde sait que Bella et sa famille sont juifs. “Ils nous traitaient de ‘sales juifs’ mais ne nous ont jamais dénoncés…”.
Bella s’arrête. “Voilà, c’est tout. Toute ma famille est arrêtée et déportée. Je m’arrête là.” Nous n’insistons pas et respectons le choix de Bella de garder pour elle ce qui est indicible.
Nos quelques recherches sur le site de Yad Vashem, guidées par le récit de Bella, nous permettent de savoir que ses parents sont arrêtés en 1943 et déportés à Auschwitz-Birkenau, d’où ils ne sont jamais revenus.
Bella a toujours eu peur. “Quand j’étais adolescente, j’ai lu un livre où il était écrit ‘Pas peur, moi j’ai pas peur’. J’enviais le personnage parce que moi, j’avais tout le temps peur…” raconte Bella.
Après la guerre, Bella est confiée à ’Oeuvre de Secours aux Enfants (OSE). Plus tard, elle rencontre son mari, qu’elle suivra partout dans le monde pour son travail, jusqu’à leur installation à Bordeaux.
Bella aime la musique - baroque ou classique, et la nature. Elle apprécie aussi beaucoup la compagnie de ses amis.
Bella a l’âme heureuse mais le regard triste en cette fin de matinée de janvier. Avant notre départ, elle nous confie qu’elle est contente de participer à ce projet mais qu’elle a toujours peur que ça recommence.
“Tous les soirs, je pense à cette période. J’entends les bottes. Les bottes allemandes” nous dit-elle gravement, mimant des mains le rythme de pas lourds sur le sol.