Marseille
« Si on était à l’hôpital du camp, on prenait le risque de passer la sélection et d’être envoyé à la chambre à gaz. On ne servait plus à rien. »
Denise Toros-Marter est née le 16 avril 1928 à Marseille, de parents français israélites, Lucien et Marcelle Marter. Elle a deux frères aînés, André et René.
La famille est traditionnelle, elle célèbre les fêtes juives. Le grand-père de Denise a été, pendant 47 ans, conservateur du cimetière israélite de La Timone, à Marseille.
Le père de Denise est un ancien combattant de la guerre de 14-18 et en 1939, il est mobilisé et envoyé en Syrie. Il est enregistré en préfecture comme juif, dès la déclaration du statut des juifs par Laval et Pétain
En 1944, Denise a 16 ans. Elle va tous les jours au lycée et suit par la suite des cours de sténodactylo et des cours d’anglais allemand à l’école Berlitz.
Un jour où elle passe au magasin de chaussures de sa grand-mère, celle-ci lui apprend que le professeur Crémieux est arrêté. Pour Denise, c’est le choc et l’effroi. Le professeur Crémieux répond aux mêmes critères que sa famille.
La famille du professeur Crémieux est française depuis plusieurs générations, éminent psychiatre et ancien combattant des deux guerres. Elle a soudain très peur d’être arrêtée.
En rentrant chez elle, Denise prévient ses parents. Mais, son père, craignant une séparation familiale, ne s’inquiète pas davantage et préfère rester ensemble. Sa mère, plus sensibilisée, accepte néanmoins que Denise aille chez une amie du lycée qui a proposé de l’héberger si elle se sent en danger.
Denise s’apprête à aller se cacher chez son amie, elle finit de lacer ses chaussures, lorsque les miliciens français tapent à la porte.
Elle est arrêtée le 13 avril 1944, chez elle, avec son père et sa mère. Sa grand-mère est arrêtée à son magasin de chaussures, avec André, son frère aîné qui s’y trouvait également. René en réchappe grâce à un signe de l’employée.
La famille est conduite au siège de la Gestapo, 425 rue Paradis, à Marseille. Les hommes et les femmes sont séparés. Ils couchent dans une cellule sur des paillasses.
Ils sont ensuite transférés à la prison des Baumettes, avant d’être transférés au camp de Drancy en train.
À Drancy, “on est dans un dortoir avec des lits en fer, des tabourets, des tables”. “Dans la cour, des gens parlent Yiddish”. Denise ne connaît pas trop cette langue, dans le sud, on parle le provençal, mais elle les questionne. “Où vont tous ses convois qui partent d’ici ?” “Pitchipoï” répondent-ils. Pitchipoï, c’est un village imaginaire en Yiddish. Pitchipoï, c’était Auschwitz.
Denise travaille à Drancy. Elle nettoie l’appartement d’une gendarme française dont le mari gardait le camp d’internement. “Elle ne m’offre pas un verre d’eau, ne me dit pas bonjour, et me dit ‘il y a ça et ça à faire.” Cela a profondément blessé Denise de la part d’une française.
Denise est déportée le 20 mai 1944, dans le convoi 74 à destination d’Auschwitz-Birkenau. Ses parents, sa grand-mère et son frère André sont également déportés dans ce convoi. Le voyage se fait dans des wagons à bestiaux.
À son arrivée, elle est sélectionnée pour le travail forcé. C’est la dernière fois qu’elle voit son père, sa mère et sa grand-mère. Elle est conduite dans un bloc de quarantaine où elle est tatouée, dépouillée de ses vêtements, tondue, et où on lui passe des haillons, ses nouveaux vêtements.
À Birkenau, tout est fait pour y perdre sa dignité, et ensuite sa vie.
Denise attrape la varicelle.
Elle a eu trois fois les pieds gelés durant sa déportation. On l’envoie au Revier, l’hôpital du camp. “Si on était à l’hôpital du camp, on prenait le risque de passer la sélection et d’être envoyé à la chambre à gaz. On ne servait plus à rien.”
Avant la libération d’Auschwitz en janvier 1945, Denise a la gangrène et souffre des pieds gelés pour la troisième fois au troisième degré. Ses doigts de pieds sont tombés tout seuls… Elle est au Revier, et ne subit donc pas la Marche de la mort.
Elle est libérée par les Russes, mais il lui a fallu trois mois pour se lever et marcher après une opération du pied réalisée par un médecin de la Croix Rouge Polonaise et soignée par des religieuses dévouées.
À son retour en France, elle arrive à l’hôtel Lutetia à Paris et est transférée à Marseille. Son frère René vient la chercher. Il a survécu à la guerre, il était résistant dans le maquis du Gard avec deux cousins : Georges Glasberg et René Almeras. Ils ont combattu dans le maquis Sainte Hyppolite du Fort.
Son frère aîné André a été déporté à Auschwitz-Birkenau et à Mauthausen. Il a également survécu. Il s’est rétabli en Suisse avant de rentrer en France ne pouvant être rapatrié sans ses forces physiques
Les trois orphelins se retrouvent à Marseille. Denise a 17 ans, elle emménage avec son frère aîné André qui prend soin d’elle.
Aujourd’hui Denise est particulièrement fière d’avoir créé l’Amicale des déportés d’Auschwitz, une association pour la mémoire de la Shoah, dont l’objectif est de témoigner auprès des jeunes. Le contact auprès des jeunes qu’elle rencontre pour témoigner et avec les professeurs d’histoire la rend heureuse. Ce qu’elle souhaite leur transmettre, c’est la tolérance. Chacun apporte sa différence à la société.
Elle est également fière d’avoir publié son livre, d’avoir raconté son histoire. “Quand je suis revenue de déportation, j’ai pris un cahier d’écolier sur lequel était écrit paradoxalement sur la couverture “l’avenir” et j’ai tout écrit, tout ce dont je me souvenais. Les moments gravés dans mon cœur et dans ma tête, ce que je ressentais.” Des années plus tard, c’est à partir de ce manuscrit qu’elle a rédigé son livre-témoignage “J’avais 16 ans à Pitchipoi.”
Elle écrit des poèmes rappelant son parcours dramatique notamment “ Liberté ” et “ Hantise ” ainsi qu’un texte qui conclut ses témoignages : “ Le testament d’Auschwitz ”. Elle va témoigner auprès des jeunes avec la promesse qu’elle a faite à ses camarades voués à la chambre à gaz : “Si jamais tu t’en sors ! Raconte !”