Esther Senot

Paris

 « Je suis revenue orpheline, donc ce que j’ai construit me rend heureuse. C’est ma revanche sur la vie.»

 

Esther Sénot est née le 5 janvier 1928 à Kozienice, en Pologne.

Elle est la sixième enfant d’une famille de sept enfants. Ses parents Nuchem et Gela Dzik sont polonais. Ils parlent le yiddish.

 

 

Lorsque le statut des Juifs est proclamé en 1940, Esther a 12 ans. C’est une jeune fille insouciante. Ses parents la protègent et ne parlent pas devant les enfants de la situation.

Les 16 et 17 juillet 1942, la vie d’Esther et de sa famille bascule. C’est la Rafle du Vel d’Hiv.

Ils habitent le quartier populaire de Belleville, Passage Ronce, un passage de 200 mètres de long sur 4 mètres de large, où 68 familles juives sont arrêtées lors de la rafle.

Le 16 juillet, la famille d’Esther n’est pas inquiétée, mais vient d’assister, depuis sa fenêtre, à des arrestations. À la demande de leur mère, Esther et sa sœur Fanny vont aux nouvelles des autres membres de la famille. Esther se rend chez sa belle-sœur (Boulevard Voltaire) vérifier que tout va bien. Fanny se rend rue Piat chez une tante.

Les évènements conduisent Esther à dormir chez sa belle-sœur. Lorsque le lendemain, elle rentre chez elle, il n’y a plus personne. Les scellés sont posés sur l’appartement. Ses parents et son petit frère Achille ont été arrêtés et seront déportés par le convoi 19.

 

 

À 14 ans, Esther se retrouve seule. Elle ignore où est sa famille ainsi que sa sœur Fanny. La concierge de l’immeuble la recueille deux semaines mais la garder constitue un grand risque. Il faut qu’elle franchisse la ligne de démarcation. Son frère Maurice se trouve à Pau. C’est là qu’elle décide d’aller.

Avec l'aide de la concierge, elle entre en contact avec un passeur. Celui-ci la mène jusqu’à Bordeaux où elle passe la nuit, mais il ne revient pas la chercher le lendemain. Elle doit se débrouiller seule pour rejoindre la ligne de démarcation.

Elle parvient à rejoindre Mont-de-Marsan, un petit village dans les Landes. Aidé par un habitant qui l’accompagne jusqu’à l’entrée de la forêt, elle passe la ligne de démarcation. Dans la nuit noire, complètement seule, Esther se met à courir, le plus vite possible. Elle court, court, sans s’arrêter. Cette nuit-là, elle a eu vraiment peur.

Par chance, et grâce à son courage, Esther parvient à rejoindre son frère à Pau. Elle reste avec lui jusqu’en novembre 1942. Puis elle remonte à Paris.

 

 

Toute sa famille a disparu. Elle alterne alors entre le centre pour enfants rue Vauquelin (5ème) et l’UGIF.

En juillet 1943, envoyée faire une course dans Paris, elle est arrêtée lors d’un contrôle d’identité au métro Saint-Paul. Elle n’a pas de papiers sur elle. Elle est conduite au commissariat, puis une fois son identité dévoilée, elle est internée au camp de Drancy.

Esther est déportée le 2 septembre 1943 au camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, par le convoi 59. Elle a 15 ans.

Le voyage se fait dans des wagons à bestiaux, pendant trois jours, enfermés. Des dizaines de personnes sont entassées.

 

 

À son arrivée à Birkenau, Esther découvre l’horreur. Il y a des cadavres, une odeur pestilentielle monte des cheminées, des soldats tiennent en laisse des chiens qui aboient et se tiennent prêts à sauter.

Elle est conduite dans une baraque où elle est rasée et tatouée. “Ma première impression, ça a été la honte.” “Lorsqu’on se retrouve rasée, nue, tatouée devant des hommes. On se sent complètement démunie.”

À 5 heures du matin, les chefs de block arrivent pour faire l’appel. Cela dure des heures. Elle doit sortir de la baraque les femmes qui n’ont pas survécu à la nuit.

En décembre 1943, par hasard, Esther retrouve sa sœur Fanny aux latrines, les toilettes du camp. Fanny a été arrêtée en novembre 1942 et déportée en février 1943 par le convoi 46.

Elles ne sont pas dans la même baraque. Mais désormais, le matin après l’appel, Esther se rend jusqu’à la baraque de Fanny. Lorsqu'elles le peuvent, elles se parlent quelques minutes. 

Un matin, Fanny n’est plus là. Elle est souffrante et a été envoyée au Revier, l’infirmerie du camp ou “l’antichambre de la mort.”

Esther trouve Fanny allongée sur le châlit, mourante. “Elle crachait du sang, elle avait été mordue par un chien et était complètement infectée. Je lui dis ‘Fanny, il ne faut pas rester là’.” L’après-midi, s’ils n’allaient pas au travail, une carriole passait par là et conduisait directement les invalides aux chambres à gaz. Mais Fanny n’a plus la force de lutter.

Elle prend Esther dans ses bras, la serre fort quelques minutes et lui dit “Tu es jeune, tu as l’air de tenir le coup. Essaie de tenir le coup le plus longtemps possible pour raconter ce qui nous est arrivé, qu’on ne soit pas les oubliés de l’histoire.” Elle fait ainsi promettre à Esther de survivre, de s’en sortir et de témoigner. Esther est particulièrement fière d’avoir tenu la promesse faite à sa sœur Fanny ce jour-là.

En janvier 1945, elle subit la Marche de la mort, puis est transférée au camp de Bergen-Belsen, où elle reste environ deux mois. Elle est ensuite transférée dans un autre camp puis à Mauthausen, en Autriche.

Elle est finalement libérée le 5 mai 1945.

Esther a passé 15 mois à Birkenau et près de 2 ans en déportation.

 

 

Aujourd’hui, ce qui rend Esther heureuse c’est son mariage et sa famille. “Je suis revenue orpheline, donc ce que j’ai construit me rend heureuse. C’est ma revanche sur la vie.” Avec son mari, Esther a eu trois fils, six petits-enfants et six arrière-petits-enfants.

“Je suis aussi heureuse de ma réussite, de celle de mes enfants. Un de mes garçons est maire, un autre est professeur d’histoire. Leur réussite m’émerveille, moi qui ait été limitée par la guerre. Je ne pouvais plus aller à l’école. J’ai simplement mon certificat d’études. Des années plus tard, j’ai tout de même reçu les ‘Palmes académiques’.”

En 2021, Esther a publié son témoignage, La petite fille du Passage Ronce, écrit avec Isabelle Ernot (Editions Grasset).