Francine Roos

Strasbourg

« Au dos de mon livre Les Malheurs de Sophie, j’inventais des noms pour “dé-judaïser” le mien. »

 

En décembre 2021, Francine nous a reçus chez elle, à Strasbourg où elle vit avec son mari Gilbert. Nous étions accompagnés par sa petite-fille, Nelly.

 

Francine est née le 22 avril 1934, dans le 16ème arrondissement de Paris. Elle vit avec ses parents, Simone et Marcel Bloch, et ses petits-frères, Didier et Jean-Michel.

À la maison, on est avant tout Français. Francine sait qu’elle est juive mais sa famille n’est pas pratiquante.

 

En 1940, c’est l’Exode. La famille Bloch décide de traverser la Loire, pour rejoindre la zone libre. Francine demeure quelque temps dans la Creuse puis, en 1941, déménage à Lyon.

“C’est le début des ennuis” souffle Francine, les lèvres un peu pincées.

Notre hôte du jour se souvient de tout, avec une précision implacable. De temps à autre, c’est la petite Francine de 8 ans qui se tient en face de nous.

 

En janvier 1942, un administrateur vient chercher tous les biens de la famille, installée dans un petit appartement à Lyon. Les bijoux sont spoliés. Sauf un. La bague de fiançailles de la mère de Francine échappe à la vigilance de l'administrateur. “La bague était sur la table basse, au milieu des autres bijoux. Peu à peu, ma mère a réussi à placer sa main dessus et à la faire glisser jusqu’à elle avant que l’administrateur n’emporte le reste.” raconte Francine.

Une autre fois, alors qu’elle prend le train avec sa mère et ses frères pour aller voir sa tante, un contrôle a lieu à bord. Sa mère à la présence d'esprit de coller un timbre-poste sur sa carte d’identité qui indique “JUIF” en gros caractères. “Ce timbre, il est à l'effigie de Pétain” s’amuse Francine.

Quand on lui demande si elle a eu peur, Francine n’hésite pas : “Tout le temps. J’ai eu peur tout le temps”.

 

 

En 1944, les rafles deviennent de plus en plus fréquentes et la famille fuit vers Vénissieux. Elle trouve refuge auprès de Madame Lagoutte qui lui loue un deux pièces, faisant fi du danger d’aider une famille juive.

À cette époque, la petite fille reçoit Les Malheurs de Sophie en cadeau et, au dos du livre, inscrit des idées de noms pour “dé-judaiser” le sien. La voici tour à tour “Francine Blochenard” ou “Francine Blochon”.

 

En mai 1944, elle part dans le Vercors avec sa famille et vit quelques semaines d’insouciance. “Nous n’étions plus juifs là-bas !”.

Mais l’insouciance est de courte durée. Les bombardements forcent la famille Bloch à quitter son logement dans la minute.

Elle est alors accueillie par des fermiers qui la logent dans un grenier tapissé de paille. “Je ne sais pas comment on mangeait. On était comme des animaux…” livre-t-elle doucement.

 

Francine finit ces années de guerre avec sa famille dans une ferme près de Roman. “Un jour, nous avons vu les avions américains ! Les soldats nous donnaient des chewing-gums!”.

À Lyon, l’ancien appartement est sous scellés. La famille rentre à Paris et habite dans un premier temps chez les grands-parents de Francine. “C’était extraordinaire, on était libre !” conclut Francine.

 

Aujourd’hui, Francine est fière de ses parents, Simone et Marcel et de leur courage. Elle porte sa mère en héroïne, et restera proche d’elle jusqu’à la fin.

Ce qui la rend heureuse aujourd’hui ? Le bonheur qu’elle et son mari Gilbert ont réussi à créer autour d’eux. Après un coup de foudre à Paris, les deux amoureux se fiancent sur un bâteau qui les emmènent en Israël pour un court séjour.

Soixante-huit ans après, Francine a 3 enfants, 10 petits-enfants et 17 arrières-petits-enfants.

Avant de partir, nous lui demandons comment elle définit la liberté. “C’est tout simplement de ne pas risquer d’être persécuté. C’est ça, la liberté.”

 

Après avoir rencontré Francine, nous traversons la rue pour nous rendre chez Claude Louy. Francine et Claude sont respectivement les grands-mères de Nelly et Raphaëla, qui ont grandi ensemble et qui sont inséparables depuis 30 ans.