Paris
« Je rêvais d’un autre monde… »
Nous avons photographié Ginette Kolinka en décembre 2020, pour l’exposition de Luigi Toscano, au siège de l’UNESCO à Paris.
Elle nous avait accueilli chez elle, toute pimpante et souriante. Rien de surprenant quand on connaît Ginette. Sa vivacité, son humour et sa force de caractère nous impressionneront toujours.
Ce jour-là, Luigi, est intrigué par tous les disques, flyers et autres récompenses musicales accrochés au mur de son appartement. Pour toute réponse, Ginette se met à entonner “Je rêvais d’un autre monde…”, célèbre titre du groupe Téléphone, dont son fils est le batteur.
Ginette Kolinka voit le jour le 4 février 1925, à Paris.
Elle est la fille de Léon et Berthe Cherkasky. Elle a cinq grandes sœurs et un frère cadet, Gilbert. Ils habitent dans le 11ème arrondissement de Paris, rue Jean-Pierre Timbaud.
En juillet 1942, la famille part se réfugier à Avignon après la menace d’une dénonciation. “Un monsieur de la préfecture est venu nous prévenir. On avait été dénoncés comme communistes.”
Pour se rendre en zone libre, il faut passer la ligne de démarcation. “On a trouvé de faux papiers, nos cartes étaient tamponnées avec la mention ‘Juif’ ou ‘Juive’.” Une fois à Avignon, la famille se loge et travaille.
Jusqu’en 1944, les Cherkasky ont un train de vie ordinaire, et se pensent à l’abri. “On pense que personne ne se doute que nous sommes juifs.” Ils reprennent même leur véritable nom de famille.
Mais le 13 mars 1944, Ginette, son père, son frère et son neveu sont arrêtés à leur domicile, sur dénonciation. Ginette a 19 ans, son père 61, son neveu 14 et son petit frère Gilbert en a 12.
Ils sont emmenés à la prison d’Avignon puis transférés à celle des Baumettes à Marseille, avant d’être internés au camp de Drancy. “Moi, vraiment, je croyais ce qu’on me disait : on va dans un camp de travail.” Pourtant, “ dans la cour de Drancy, il y avait des personnes très âgées, handicapées, des mutilés de guerre, des enfants qui se promenaient dans la cour. Cela aurait dû nous mettre la puce à l'oreille.”
Ils sont déportés un mois plus tard, le 13 avril 1944, par le convoi 71. Dans le même convoi se trouvent Simone Veil et Marceline Loridan-Ivens.
Le jour du départ de Drancy, “ on a pris un autobus jusqu’à la gare de Bobigny et là on a embarqué dans des wagons à bestiaux.” “On nous a poussés violemment pour entrer dans les wagons. Nous ne savions pas où nous allions.”
Ginette arrive le 16 avril 1944 à Auschwitz-Birkenau. Elle n’oubliera jamais ce jour-là. Le jour où elle est séparée de son père, son frère et son neveu pour toujours…
Lorsqu’ils descendent du wagon, affamés et épuisés après les trois jours de voyage, dans les terribles conditions que l’on connaît, les SS indiquent des camions pour les plus fragiles. Ginette conseille à son père et son frère de faire le trajet dans les camions mis à disposition pour rejoindre le camp, à quelques kilomètres de là. Son neveu choisit de faire le chemin avec eux. Sans le savoir, en montant dans ces camions, ils furent automatiquement jugés inaptes au travail et dirigés vers les chambres à gaz.
Ginette, quant à elle, marche jusqu’au camp, passe la sélection, et entre dans le camp des femmes.
Elle est emmenée dans une baraque, rasée, tatouée. “ On nous a obligé à nous mettre nues. Pour moi, ça a été quelque chose de très très très dur” insiste-t-elle.
C’est à ce moment-là que Ginette apprend, par d’autres femmes présentes dans le camp, que les personnes qui sont montées dans les camions ont été conduites aux chambres à gaz. “Mais personne n’y croit au début. On ne les croit pas, c’est impossible.”
Tout au long de sa déportation à Birkenau, Ginette a eu peur de la sélection.
En novembre 1944, par hasard et par chance, son instinct prend le dessus. Elle voit des femmes se diriger vers un train. En une fraction de seconde, elle décide de se faufiler dans ce train qui prend la direction du camp de Bergen-Belsen. Elle échappe ainsi à l’enfer de Birkenau et à la menace des chambres à gaz.
Fin février 1945, Ginette quitte Bergen-Belsen en train pour aller travailler dans une usine d’aviation à Raguhn. En avril 1945, elle est transférée à Theresienstadt. Quelques jours après son arrivée, le camp est libéré.
Elle est le seul membre de sa famille déporté à avoir survécu. Elle est malade du typhus et pèse 26 kg. Elle est soignée quelque temps avant d'être rapatriée.
À son retour en France, elle retrouve sa mère et quatre de ses sœurs dans leur appartement parisien, rue Jean-Pierre Timbaud.
En 1951, elle rencontre son mari, Albert Kolinka avec lequel elle a un fils, Richard Kolinka.
C’est des dizaines d’années après la fin de la guerre, en 2003, que Ginette retourne pour la première fois à Birkenau. Elle accepte de remplacer un accompagnateur de l’Union des Déportés d’Auschwitz (UDA).
À son arrivée, elle ne reconnaît plus grand-chose : “Birkenau, sur place, c’est un décor. Quelqu’un qui n’en connaît pas l’histoire peut ne rien voir.”
Alors, pour combler ce vide, elle choisit de raconter, de transmettre, avec la détermination qui lui a autrefois sauvé la vie.
Depuis, elle témoigne inlassablement. Il est probable, à l’heure où nous écrivons ces lignes, ainsi que celle à laquelle vous les lirez, qu’elle soit dans un train ou dans une école, quelque part en France, à témoigner.
Ginette Kolinka nous a plusieurs fois fait l'honneur d'accompagner le voyage de mémoire du Crif à Auschwitz-Birkenau.
Après des années à témoigner auprès des jeunes générations, Ginette inscrit son témoignage dans la postérité. Elle publie Retour à Birkenau, écrit avec la journaliste Marion Ruggieri (Editions Grasset, 2019). À travers ses propres mots, ceux qu’elle utilise pour s’exprimer à l’oral, Ginette Kolinka est là, face à nous et raconte. Lisez-la, écoutez-la.