Ile-de-France
« On nous a fait venir devant les barbelés, nos parents étaient de l’autre côté. Ils nous ont dit ‘dites au revoir à vos parents’. On s’est mises à hurler de chagrin. »
Gitla Shapiro est née le 19 mai 1932. Avec sa sœur Sarah, elles sont les filles cadettes de M. et Mme Rosenblum. Elles ont six autres frères et sœurs.
Gitla et Sarah sont toutes deux nées à Paris.
La famille Rosenblum, famille juive très religieuse, originaire de Pologne, émigre en France en 1929. Ils s’installent dans le 4ème arrondissement de Paris, Rue Sainte-Croix de la Bretonnerie. Ils mangent cacher, célèbrent les fêtes.
Le père est “sho’het”, il s’occupe de l’abattage rituel. La mère travaille dans une épicerie, rue des Ecouffes. Parfois, elle allait aux Halles la nuit, rentrait épuisée et faisait des pâtisseries. Malgré cela, elle est disponible pour ses enfants.
Au mois de juillet 1942, les deux petites filles, âgées de 10 ans et 6 ans, doivent partir en colonies de vacances. Les valises sont prêtes.
Elles ne se rendent pas compte que c’est la guerre, trop jeunes pour comprendre. “Mais nous avons porté l’étoile jaune” précise Gitla.
Le matin du 16 juillet 1942, jour de la rafle du Vel d’Hiv, des policiers français se présentent au domicile de la famille Rosenblum. Ils arrêtent M. et Mme Rosenblum, Gitla, Sarah, leur frère Isaac et leur sœur Pauline. On leur demande de préparer quelques affaires.
Ils sont tout d’abord entassés dans une école, puis une fois les autobus arrivés, sont conduits jusqu’au Vélodrome d’Hiver.
Gitla se souvient de sa mère, qui dans la précipitation, avant de partir de chez elle, pense à prendre les bougies de chabbat, des bougeoirs et une nappe blanche. “J’ai le souvenir que c’était un jeudi” raconte Gitla.
À l’arrivée, l’atmosphère est tout de suite très différente. “On nous a fait asseoir sur des gradins de courses cyclistes.” Petit à petit, le Vélodrome s’est rempli. “La nuit les femmes hurlaient de peur, menaçaient de se jeter du haut des gradins…” raconte Gitla. La dureté de la situation commence à se faire ressentir. Certains ont même essayé de se sauver.
Au bout de quelques jours, des autobus les conduisent au camp d’internement de Pithiviers.
Dans le camp de Pithiviers, “la vie est difficile, un avant-goût de la vie d’internés” selon Gitla. Elles dorment dans des lits en bois superposés. Mais la famille est encore réunie.
“Un jour, on nous a fait venir devant les barbelés, et nos parents étaient de l’autre côté des barbelés. Ils nous ont dit ‘dites au revoir à vos parents’. On s’est mises à hurler de chagrin.” Une scène qui a terriblement marqué Gitla, et dont les souvenirs restent douloureux. Leur frère Isaac était avec leur père, et leur sœur Pauline avec leur mère.
La famille est séparée. Les deux jeunes sœurs se retrouvent seules.
Un peu après, elles sont transférées à Drancy. Elles ont faim. Gitla vole une carotte dans la cuisine. “On m’a mis au cachot, au sous-sol. Et ma sœur [Sarah] s’est couchée devant l’entrée du cachot et hurlait.” Elle ne voulait pas rester seule.
À Drancy, les deux sœurs montent dans un autobus. Elles suivent les directives. Mais Gitla, 10 ans et demi, souhaite sortir du bus. “J’ai dit ‘mais viens, viens’ à Sarah. Elle m’a répondu ‘non, on va nous fusiller’. Et je me souviens que celui qui dirigeait le camp de Drancy était à proximité. Je le revois. Je revois cette scène. Et on est descendus.” C’est ce qui les a sauvées, selon sa petite sœur Sarah. “J’en suis fière aujourd’hui mais je n’avais pas conscience de ce que je faisais, ni conscience du risque. Je ne savais pas alors où allait le bus.” réagit Gitla. Elles se cachent dans le camp de Drancy et attendent.
“Nous avions un oncle à l’extérieur, le frère de mon père, oncle Raymond, qui nous a fait parvenir un message : ‘Je m’occupe de vous’ ” explique Gitla. Il avait des relations, il était ami avec un homme engagé dans la Gestapo française. Grâce à cette relation, il réussit à faire sortir ses nièces de Drancy. Le 15 octobre 1942, un avis de libération pour Sarah et Gitla parvient au camp. On vient les chercher.
On les conduit chez leur belle-sœur au 32 rue des Blancs-Manteaux. “Nous étions sales, laides, pleines de boutons, de poux. Horrible, vraiment horrible” raconte Gitla. Cette jeune femme avait déjà une petite fille de 3 ans et demi. Malgré les risques, elle garde quelque temps Sarah et Gitla avec elle. “C’était une femme courageuse, formidable.”
Puis l’UGIF (Union Générale des Israélites de France) les a ensuite placées dans des familles, à la campagne, dans la Sarthe.
Pour la première fois, le chemin des deux sœurs se séparent. Chacune est cachée dans une famille différente, chez des paysans payés par l’UGIF.
Gitla a été placée dans une famille correcte, les Bernard. Elle n’était pas maltraitée mais elle devait travailler. Elle gardait les vaches. Elle se souvient avoir dormi, à son arrivée, dans un lit de bébé. “J’avais 10 ans, je n’étais pas du tout à l’aise.” Elle restera environ trois ans chez les Bernard. Avec Sarah, “on se voyait parfois, mais on ne nous laissait pas nous rencontrer. C’était très dur.”
À la fin de la guerre, leur frère Raymond qui était au maquis est venu les chercher pour les ramener à Paris.
Leurs parents ne sont pas revenus. Ni leurs frères Paul, Isaac et leur sœur Pauline.
Aujourd’hui, Gitla vit en Israël, ce qui la rend très heureuse. Elle est près de sa famille, de ses trois enfants et dix petits enfants.
Après la guerre, Gitla a eu le bonheur de rencontrer Haïm Shapiro. Il a survécu à la Shoah en fuyant la Pologne vers la Russie. “La famille, c’était important pour lui.” Elle est également heureuse d’avoir tous ces souvenirs. Elle se sent chanceuse.