Henri Ostrowiecki

Ile-de-France

« J’ai cette sensation de ma présence d’enfant au milieu des autres… »

 

En novembre 2021, nous sommes allés à Montreuil, rencontrer Henri dans sa magnifique maison atypique. Plongés dans l’incroyable bleu de ses yeux, nous avons vécu un moment hors du temps.

Le père d’Henri, Chil, arrive de Pologne en 1935, rejoint par sa mère, Chaja, un an plus tard. Henri naît en 1937, à l'Hôpital Rothschild de Paris. La famille habite rue Delaitre, dans le 20ème arrondissement.

 

Le 13 mai 1941, son père reçoit une convocation au motif d’une "régularisation''. Il est arrêté et interné à Beaune-la-Rolande. C’est la rafle dite du Billet vert.

Henri n’a pas de souvenir précis de son père. Toutefois, avec une tendresse infinie, il raconte le souvenir de la sensation des genoux de son père contre ses hanches, quand il se glissait entre lui et sa machine à coudre.

 

La veille de la rafle du Vél’ d’Hiv’, le 15 juillet 1942, un inspecteur de police prévient son oncle et sa tante, mais Henri est malade et sa mère refuse de quitter son domicile avec lui. Ils sont arrêtés au petit matin, le 16 juillet 1942.

Emmenés au square Sorbier, les événements se précipitent. Henri nous livre le souvenir d’un long regard échangé avec sa mère avant leur brutale séparation. Elle monte dans un fourgon et disparaît dans la foule. Le 14 septembre, elle est déportée à Auschwitz-Birkenau par le convoi 32. La mère d'Henri ne reviendra pas. 

 

Henri se réveille à l’hôpital. Il est fiché par la police, avec le statut “d’enfant bloqué”. Il est interné à l’hôpital Rothschild.

Quelques temps plus tard, sa tante vient le chercher et, ensemble, ils passent la ligne de démarcation. Henri arrive à la Ronchonie, un village près d’Objat, en Corrèze.

Henri raconte que, de ses souvenirs, il ne garde que quelques anecdotes. Des chaussettes mises au-dessus des chaussures pour amoindrir le bruit, un mouchoir placé sur la bouche pour éviter qu’il crie.

Quand il fouille dans sa mémoire, Henri dit qu’il a conscience d’être un enfant par la perception qu’il a de ce qui l’entoure. Les étals des bouchers, les passants dans la rue, sont à hauteur d’enfant. “J’ai cette sensation de ma présence d’enfant au milieu des autres…” confie-t-il.

À la Ronchonie, Henri tombe amoureux d’Huguette, une petite fille du village. “J’étais presque heureux” dit-il, un sourire un peu cassé au coin de la bouche.

 

À cette époque, la nuit, Henri fait beaucoup de cauchemars. Ces cauchemars, ils reviendront des années plus tard, après l’attentat de la rue des Rosiers. Ils nous les racontent avec précision, mentionnant la nuit, le silence, la course effrénée pour fuir, et - parfois - le ventre d’un cheval dans lequel il est agréable de se réfugier…

 

Après la guerre, Henri rentre en Île-de-France, à Gentilly, chez sa tante et son oncle, sa nouvelle famille. “Je n’ai plus de parents” souffle-t-il.

Henri se rebelle et finit par quitter le domicile. “J’étais un bad boy disons !” s’amuse Henri, les yeux rieurs mais empreints d’une certaine nostalgie.

Il devient ingénieur du Conservatoire national des Arts et Métiers (CNAM), un diplôme dont il est très fier. “À Rome, nous analysions les performances d’un jet de lumière d’un électro-synchrotron. Et on a mis en évidence la présence d’un rayonnement extraordinaire ! Cette découverte a permis de développer une autre manière de penser la physique…”

Rien que ça !

 

Aujourd’hui, Henri est heureux, en grande partie grâce à Katy, sa compagne. “Les femmes m’ont sauvé la vie !” s'exclame-t-il. Et d’ajouter, plus timidement, “Et l’écriture aussi…”

Il se souvient d’Huguette, à la Ronchonie mais aussi d’Yvette Cauchois, “la patronne du labo”, qui a beaucoup fait pour lui.

Toute sa vie, Henri s’est demandé ce qui aurait pu se passer si…

Ce que nous savons, nous, c’est qu’en rencontrant Henri, un jet de lumière particulier a surgi. Un rayonnement extraordinaire.