Paris
« J’essaie de transmettre mon vécu pour que l’histoire ne se répète pas. Ce sont peut-être des phrases toutes faites, mais c’est le cas, c’est ce que je ressens. »
La première fois que nous avons rencontré Henri Zajdenwerger, c’était via écran interposé, lorsqu’il avait accepté de témoigner pour la Commission du Souvenir du Crif. Un souvenir marquant, à la hauteur de son parcours singulier.
C’est donc avec une grande émotion que nous nous sommes rendus chez Henri ce jour-là, familiers de son histoire, et honorés de pouvoir rencontrer ce survivant : le dernier survivant du convoi 73, l’unique convoi à destination des Pays Baltes.
Nous avons rencontré un homme généreux, patient. Un fan de cinéma. Un papa fier. Un mari aimant. Nous vous laissons découvrir qui est Henri.
Henri Zajdenwerger est né le 7 décembre 1927 à Nancy, en Meurthe-et-Moselle. Il est enfant unique. Il grandit seul avec son père. Sa maman est décédée quelques jours après sa naissance.
Son père est originaire de Pologne. Il a émigré en France fin 1926, début 1927.
Avant la guerre, ils vivaient tous deux à Metz, mais l’antisémitisme et la proximité avec l’Allemagne les a contraints à quitter la ville et à déménager à Angoulême.
Au début de la guerre, Henri est frappé par la discipline et l’arrogance des troupes allemandes. Il vit très mal la présence des Allemands en France. Mais il vit mieux à Angoulême qu’à Metz, la population étant "plus clémente".
Enfant, Henri était pratiquant. Il a vécu quelque temps chez sa grand-mère paternelle, chez qui il a reçu une éducation religieuse. Il a même célébré sa Bar-Mitsvah à Angoulême, pendant la guerre. Depuis, il a perdu la foi.
Henri et son père sont tous les deux arrêtés le 8 octobre 1942, pendant la rafle des Juifs de Charente. 442 juifs sont arrêtés ce jour-là.
Henri est relâché après la vérification de ses papiers car il est Français. Il a 14 ans et se retrouve seul. Il est effrayé à l’idée d’être séparé de sa famille. Sur les conseils de son père, il se rend à une adresse, chez un ami à lui, Mr. Gérald.
Caché chez lui, Henri se sent relativement en sécurité. Il retire son étoile jaune et continue d’aller à l’école jusqu’au 7 février 1944, jour de sa seconde arrestation.
Il est arrêté et conduit à la prison d’Angoulême pendant une dizaine de jours, puis il est transféré à Poitiers dans un camp d’internement pendant 3 mois. Il est ensuite envoyé au camp de Drancy où il reste 8 jours.
Henri a 16 ans lorsque, le 15 mai 1944, il est déporté dans le convoi 73, composé de 878 hommes juifs.
Le convoi numéro 73 est l’unique convoi parti à destination des Pays Baltes. Après 3 jours de voyage, le convoi arrive en Lituanie, à Kaunas, la seconde ville du pays. Là, le convoi est divisé en deux. Une partie des wagons, dans lesquels se trouve Henri, est envoyée à Tallinn en Estonie, dans une prison, pendant 10 jours, avant d’être transférée dans une caserne désaffectée.
De fin mai 1944 à fin août 1944, Henri travaille sur un terrain d’aviation à l’aménagement et l’entretien des pistes. Puis ils sont évacués par la mer. Les déportés naviguent trois jours sur un vieux cargo nommé Vaterland.
Le cargo arrive à Dantzig. Ils ne sont plus que 37 sur les 878 hommes du convoi 73. Ils marchent 20 km à l’est pour arriver au camp de Stutthof en Prusse occidentale. De là, le 25 janvier, les Allemands évacuent les déportés. C’est la Marche de la mort, dans des conditions terribles. Henri a les pieds enveloppés dans des morceaux de tissus. Il y a de la neige, beaucoup de neige. Il marche, tient tant bien que mal.
Henri arrive finalement au camp de Ruben, un camp annexe de Stutthof.
Il est libéré en mars 1945 par les Russes.
De retour en France, Henri arrive à Lille, où on lui procure des papiers provisoires.
Henri fait partie des 22 survivants du convoi 73. Il est le seul en vie aujourd’hui.
Après la guerre, Henri s’est reconstruit. Il est particulièrement fier de sa famille et de sa femme. Ils ont célébré leurs 61 ans de mariage.
La femme d’Henri n’est jamais très loin, elle veille sur lui et sur nous, ses hôtes. Elle insiste pour qu’on goûte les petits gâteaux qu’elle nous propose.
"Je suis fière, malgré la guerre, d’avoir construit une famille. J’ai une fille engagée, elle est bénévole au Mémorial de la Shoah." Ses petits-enfants le rendent également très heureux.
Aujourd’hui, il témoigne. "J’essaie de transmettre mon vécu pour que l’histoire ne se répète pas. Ce sont peut-être des phrases toutes faites, mais c’est le cas, c’est ce que je ressens."
Son engagement pour la mémoire de la Shoah, il le doit aussi beaucoup à Serge et Beate Klarsfeld ainsi que Claude Bochurberg, pour qui il a beaucoup de respect. "Ce sont vraiment des êtres d’exception."