Paris
« Ma mission de vie, c’est cette bataille pour la reconnaissance de ceux qui ont aidé.»
Nous avons rencontré Ida et Marcel Apeloig en novembre 2021, chez eux, dans un appartement à leur image : original et chaleureux. Au milieu des superbes tableaux d’Ida et des cassettes enregistrées de Marcel, nous nous sommes fait une place dans leur univers. Ida, lunettes bien rondes sur le nez, nous a raconté son histoire.
Ida naît le 7 juillet 1937, dans le 12ème arrondissement de Paris. Elle a deux frères, Benjamin, né en 1930 et Jean, né en 1942.
Les parents d’Ida, Szmul et Golda sont originaires de Kazimierz-Dolny, en Pologne, et sont arrivés en France en 1930.
À la maison, Ida et sa famille ne pratiquent pas beaucoup le judaïsme. “J’avais deux ans au début de la guerre et je ne savais pas ce que ‘Juif’ voulait dire” confie Ida.
En septembre 1939, le père d’Ida rejoint les Engagés volontaires.
Ida quitte Paris quelques mois plus tard avec sa mère et son frère Benjamin. Ils arrivent à Châteaumeillant, dans le Cher. Son père, démobilisé suite à l’armistice de 1940, les y rejoint.
À Châteaumeillant, la famille occupe d’abord un petit logement mais doit finalement se séparer en 1942 pour rester en sécurité. Ida est placée chez un couple. La consigne qu’on lui donne est terrible : “Si tu vois ton père ou ta mère, tu ne les approches pas !”.
Ida va à l’école maternelle du village et se lie d’amitié avec une camarade, Janine, qui l’invite souvent chez sa grand-mère avec laquelle elle vit.
Malgré l’amitié de Janine, Ida est une enfant très triste et la séparation avec ses parents est difficile.
La famille réussit à échapper aux arrestations et rentre à Paris en 1945 où elle retrouve son appartement d'avant-guerre vidé de tous ses meubles.
Après la guerre, Ida fréquente un mouvement de jeunesse juif, laïc et communiste, la Commission Centrale de l’Enfance, (CCE). Ida apprend l’histoire de la résistance juive et les combats menés pour la liberté.
À 15 ans, Ida intègre le Yiddish Arbeiter Sporting Club (YASC). Elle rencontre Marcel à la fête de l’Humanité alors qu’elle s’occupe du stand de sandwichs du YASC.
Aujourd’hui, Ida et Marcel sont mariés depuis 65 ans et s’aiment visiblement comme au premier jour. “Tous les deux, on est plein de symboles…” sourit Ida qui lance un regard amusé à son complice de toujours.
Cette jeunesse communiste est très importante pour la jeune Ida qui apprend alors un mot qui va beaucoup compter pour elle, “fraternité”.
Ida travaille d’abord en tant que comptable, avant de rejoindre la boutique de petit électroménager de Marcel. Plus tard, le couple ouvre ensemble une entreprise de réparation de matériel électronique. Cette entreprise deviendra l’une des stations techniques agréées Sony présentes en France.
Ida fonde sa famille et donne naissance à Evelyne en 1960, puis à Philippe deux ans plus tard.
En 2003, Ida tombe sur le livre d’un résistant du département du Cher, Roger Sandrier. Elle comprend que cet homme a fait partie du même réseau de résistance que son père, à Châteaumeillant.
Ida réalise soudain le rôle que les habitants du village ont joué dans son sauvetage et la survie de sa famille pendant la guerre. Elle veut désormais remercier tous ces gens.
Ida monte un dossier auprès de Yad Vashem afin de faire reconnaître Châteaumeillant comme village de Justes. Cela n’est toutefois pas possible, Yad Vashem s’en tenant aux reconnaissances individuelles, à l’exception du Chambon-sur-Lignon.
En cherchant dans les archives, Ida découvre alors que 144 juifs ont été cachés à Châteaumeillant.
Après une bataille de très longue haleine et un travail acharné pour rencontrer des anciens enfants cachés et des familles de Justes, le 20 novembre 2004, Ida fait apposer une plaque commémorative à Châteaumeillant. Un événement largement relayé par les médias et dont Ida est fière.
Ce jour-là, Ida retrouve Janine, son amie d’école. Janine l'emmène dans la maison de sa grand-mère et Ida y découvre - très émue - une photo d’elle, enfant, sur la cheminée.
Depuis, Ida n’a rien lâché et n’a jamais renoncé à faire rentrer Châteaumeillant dans le réseau des Villes et villages des Justes de France du Comité français pour Yad Vashem.
Et sa détermination a payé. Châteaumeillant va, enfin, intégrer le réseau.
Sa “mission de vie”, comme dit Ida, c’était ça, cette bataille pour la reconnaissance de ceux qui ont aidé.
“Je suis une optimiste, je veux croire à la continuité de la transmission" nous dit Ida en nous gratifiant d’un clin d'œil.
Aujourd’hui, Ida est grand-mère et très heureuse de réunir toute sa famille, le vendredi, pour “un dîner normal, pas spécialement un dîner de Shabbat”.
Il y a quelque temps, sa petite-fille Sarah, “Sarale”, lui a demandé : “Mémé, est-ce que tu as déjà trompé Pépé ?” Dans un élan énergique qui lui ressemble, Ida lui a répondu, “Non, mais j’ai toute la vie devant moi !”.
Nous gardons un souvenir particulièrement joyeux de cette rencontre avec Marcel et Ida, attablés au salon, les yeux tournés vers les œuvres colorées d’Ida et le cœur heureux face à deux militants amoureux.