Ile-de-France
« À gauche, c’est la vie, à droite, c’est la mort. N’oublie pas, la gauche c’est la vie, tu vas à gauche. »
En novembre 2021, Isabelle Choko nous a reçu chez elle, dans son appartement rempli de photos, de livres, et de peintures. Les souvenirs d’une vie.
Izabela Sztrauch naît en 1928 en Pologne. Elle est entourée de l’amour de ses parents, qui gèrent une pharmacie.
En 1940, comme tous les Juifs de Lodz, Isabelle et sa famille sont forcés de quitter leur appartement et de s’installer dans le ghetto. Son père succombe aux terribles conditions de vie. Isabelle et sa mère survivent dans des coditions déplorables juqu’en 1944, date de liquidation du ghetto. Elles sont ensuite déportées vers Auschwitz-Birkenau.
Quand on lui demande si elle a eu peur, Isabelle répond qu’elle a eu peur pour sa mère, mais jamais pour elle.
Elle se souvient parfaitement de l’un des premiers miracles – et il y en aura tant d’autres – qui la sauve de la mort, sur la rampe de chemin de fer du camp.
“Il était interdit de parler. Un homme s’est discrètement approché de moi sur le quai d'Auschwitz-Birkenau et m’a dit ‘Écoute moi ! À gauche, c’est la vie, à droite, c’est la mort. N’oublie pas, la gauche c’est la vie, tu vas à gauche’ .”
Isabelle et sa mère passent une semaine à Auschwitz-Birkenau. Elles sont ensuite conduites dans un camp annexe de Bergen-Belsen, en Allemagne, et réduites aux travaux forcés. “Ce camp s'appelait ‘Waldeslust’. En arrivant, nous avons vu des baraques équipées de lits et on s’est dit qu’on pourrait survivre. Mais très vite, le froid glacial, la faim, c’était l’horreur…”
La jeune Isabelle est affectée dans un Kommando de construction et est chargée de creuser d’immenses trous et de transporter des rails de chemins de fer. Un jour, alors qu’elle creuse depuis le matin un énième trou dans la terre, épuisée par sa besogne, elle s’arrête un moment. Un soldat de la Wehrmacht lui demande de reprendre le travail. Elle s’excuse et reprend sa tâche. “Le commandant SS, qui n’était jamais loin, toujours caché, est sorti à l'improviste et a demandé qui avait arrêté le travail. Il n’avait rien vu mais il avait tout entendu. Il a menacé de punir tout le Kommando si la coupable ne se désignait pas. Je savais ce que ‘punir’ voulait dire : pas de soupe ce soir et des heures à attendre debout dehors. Je me suis approchée et j’ai dit ‘C’est moi’. Le commandant SS a pris tout l’élan qu’il pouvait prendre et m’a adressé un violent coup de poing. Je me suis effondrée quelques mètres plus loin.”
Isabelle et sa mère apprennent qu’elles sont envoyées à Bergen-Belsen. Là-bas, la faim et les maladies, dont le typhus transporté par les poux, sont encore plus vives et tenaces. Elles auront raison de la mère d’Isabelle, qui meurt quelques semaines avant la libération du camp.
Une fois le camp libéré par l'armée britannique, Isabelle est prise en charge par deux sœurs catholiques, “une Française et une Polonaise”. Grâce à sa maîtrise du français, elle se prend d’affection pour Sœur Suzanne Spender, la sœur française. “J’avais 16 ans, je pesais 25 kilos. J’avais le corps plein de plaies, un abcès à la cuisse, j’étais mourante… Un jour, alors que Sœur Suzanne me lavait les pieds, la sœur polonaise s’est approchée de moi et, d’un air empli de méchanceté, m’a dit ‘Tu n’as pas honte de te faire laver les pieds par une Française ?’ À cet instant précis, j’ai compris que je ne serai plus jamais la bienvenue en Pologne.”
À la fin de la guerre, Isabelle arrive en France. “Ensuite, j'ai rencontré mon mari et construit ma vie.”
Et quelle vie !
Isabelle est devenue une championne d'échecs, participant aux compétitions les plus prestigieuses. “Dans le ghetto, j'avais appris quelques rudiments du jeu des échecs. Après la guerre, en France, à l'occasion d'un séjour à Vittel, j'ai rencontré des joueurs d'échecs dans le parc. J'ai joué avec eux, et peu à peu, ils m'ont entraînée dans un cercle d'échecs à Saint-Maur. Je suis ensuite entrée dans le grand cercle d'échecs de Paris, le cercle Caïssa. Quelques mois après, j'ai gagné successivement plusieurs tournois. Et finalement, j'ai représenté la France au Championnat du monde, en Hollande.”
Aujourd'hui encore, Isabelle encourage les plus jeunes à se former à cette discipline. “C'est excellent pour la concentration, la réflexion, la stratégie et l'observation des possibilités de son partenaire.”
Isabelle a construit une grande famille et compte aujourd’hui six petits-enfants et huit arrières petits-enfants. “Ils sont loin, mais on s’appelle souvent !”.
Elle nous parle avec fierté des lettres qu’elle reçoit des élèves devant lesquels elle témoigne. “J’en suis très fière, j’en ai plein !” nous glisse-t-elle.
Pour un devoir de rédaction sur une personne inspirante, sa petite-fille a choisi d’écrire sur Isabelle et son histoire. Ça aussi, ça la rend fière.
Ce travail de transmission de la mémoire, Isabelle le fait aussi à travers l’Union des Déportés d'Auschwitz (UDA), dont elle a récemment pris la Présidence.
Son héroïne de la vraie vie ? Marie Curie, dont la photo est en bonne place sur son bureau.
Isabelle a un rire vif, qui transperce les silences et nous ramène à la vie. “Pas une journée sans rire” dit Isabelle. Nous retiendrons le rire d’Isabelle, pour tous les jours, le rire d’Isabelle pour toute la vie.