Jean-Paul Rosner

« J’ai vu de mes yeux de petit garçon les Allemands entrer dans Lyon. » 

 

Jean-Paul nous attendait à la gare, devant le point de rendez-vous. Ponctuel, fidèle à la description qu’il nous avait faite au téléphone, nous le repérons facilement avec son chapeau et son long manteau. 

Il est venu nous chercher, heureux de pouvoir nous conduire lui-même à son domicile.

Il est en forme, il rentre d’un séjour chez des amis.

 

 

Jean-Paul témoigne régulièrement de son expérience d’enfant caché. Parfois avec la LICRA dont il est membre depuis de nombreuses années. 

C’est important pour lui de transmettre son histoire, mais aussi les valeurs humanistes qui lui sont chères : le respect, la justice, la solidarité et l’hospitalité. 

 

 

Jean-Paul est né le 7 mai 1935 à Grenoble. Son frère cadet, Alain, est né le 5 janvier 1938. 

Pendant la guerre, ils ont été cachés ensemble, avec leur jeune tante Irène Rosner, la demi-sœur de leur père, chez un couple d’agriculteurs dans l’Isère.

 

 

Le 11 novembre 1942, Jean-Paul, tout jeune garçon de 7 ans et demi, observe depuis la fenêtre de l’appartement familial les Allemands entrer dans Lyon.

Onze jours plus tard, le 22 novembre 1942, la famille Rosner quitte précipitamment son domicile dans la ville de Lyon pour se réfugier dans la région Rhône-Alpes. 

En effet, ils ont été prévenus par une voisine (en contact avec un ami qui travaille à la préfecture) que les Allemands avaient une liste de Juifs à arrêter sous peu. Ils décident de quitter Lyon le jour-même.

Le père de Jean-Paul, polonais, et sa mère, française originaire de Grenoble, craignent pour leur vie et celle de leurs enfants.

 

Monsieur Couturier, un ami d’André Millaud, le frère de Madame Rosner, qui résidait à Bourgoin, propose généreusement son aide à Madame Rosner. Au cours de l'été 1942, Jean-Paul et Alain ont passé quelques semaines chez lui. Il lui propose spontanément de s’occuper de ses enfants le temps de la guerre. Elle accepte.

Les enfants resteront cachés chez les Couturier, un couple de cultivateurs, dans un hameau à Charbonnières, à quelques kilomètres de Bourgoin-Jallieu dans l’Isère, jusqu’à la fin de la guerre, soit pendant 22 mois.

Pendant toute cette période, Jean-Paul et Alain sont choyés par les Couturier. Ils sont scolarisés et vont à l’école à 1 km à pied du hameau de Mozaf. Ils se sentent protégés et reçoivent beaucoup d’affection. Alain surnomme Monsieur Couturier “ Papa d’Afrique”.

 

 

Jean-Paul n’a pas connaissance de son identité juive. Pour expliquer leur départ de Lyon, ses parents lui expliquent que c’est la guerre. 

Il ne ressent pas de peur, mais du chagrin. Il n’a pas conscience du danger mais il est triste d’être séparé de ses parents. Il pleure les soirs où sa mère, venue leur rendre visite, doit repartir. 

Elle arrivait en train à Bourgoin, son frère André Millaud lui prêtait une bicyclette et elle venait jusqu’à Charbonnières avec. Elle passait la journée avec ses enfants puis repartait … jusqu’à la prochaine visite. “Je l'accompagnais jusqu’à l’entrée du village et je me rappelle d’elle, montant sur son vélo. Je la vois partir, et je pleure. Et elle aussi doit sûrement pleurer.”

Jean-Paul se sait chanceux de voir sa mère quelques fois, et son père également, comme ce 11 novembre 1943, jour de l’anniversaire de celui-ci. 

Le couple se cachait dans la région Rhône-Alpes. Il changeait régulièrement de cachette. Ils ont habité dans une ferme, puis à Grenoble dans un appartement qu’ils louaient à des amis, dans une maison à Torchefelon. 

Jusqu’à ce que la ville de Lyon soit libérée le 3 septembre 1944

Quelque temps après, Jean-Paul et son frère retrouvent leurs parents.

 

Dès 1944, Jean-Paul reçoit une éducation juive. Il a fait sa Bar-Mitsvah à la grande synagogue de Lyon en 1948.

“Tout le monde sait que je suis Juif, je l’ai toujours proclamé, je ne m’en suis jamais caché.” Mais aujourd’hui il a peur pour ses petits-enfants, pour les générations à venir. Peur de l’antisémitisme, de revivre une période identique. “Car il y a des endroits où ce n’est plus très sûr d’être juif de nos jours.”

 

La guerre est loin, cependant le combat continue pour Jean-Paul et son frère. Le père de Jean-Paul avait quelques toiles, notamment des tableaux de l'École de Paris. Spoliée, la famille entame depuis quelques années des démarches pour retrouver leurs biens.

Enfin, Jean-Paul et son frère ont entamé les démarches pour que les Couturier soient reconnus Justes parmi les NationsJean-Paul est fier d’avoir connu des gens d’un tel dévouement et d’un tel courage, honoré d’avoir croisé leur route et d’avoir bénéficié de leur protection.

“Ils ont sauvé ma vie, celle de mon frère Alain, de ma tante Irène, mais aussi très certainement celles de mes parents, indirectement, en leur permettant de se cacher à deux, ce qui était plus facile et bien plus discret.”

Les Couturier ont été honorés de la médaille des Justes parmi les nations à titre posthume. La cérémonie a eu lieu en mai 2012.