Paris
« À Birkenau, on ne pensait qu’à une chose : travailler pour recevoir de quoi manger et tenter de ne pas se faire prendre quand on essayait de voler un pain. »
Le 16 novembre 2021, nous rencontrons Julia dans son appartement parisien.
Cet appartement était celui de ses parents avant la guerre. Aujourd’hui, 77 ans après la libération d’Auschwitz-Birkenau, elle y habite toujours. C’est une fierté pour cette femme courageuse qui, grâce à de nombreux efforts et avec de l’aide, est parvenue à le récupérer.
À notre arrivée nous découvrons une Julia toute belle, apprêtée, et coiffée en vue de la séance photo. Elle porte un élégant chemisier léopard, et a mis des colliers.
Tout au long de notre entretien, elle a gardé le sourire.
Julia Wallach est née le 14 juin 1925 dans le 12ème arrondissement de Paris. Elle est la fille unique de Joseph et Mariem Kac.
Ses parents sont d’origine polonaise, ils parlaient yiddish. Ils ont émigré en France en 1924. Joseph était maroquinier de luxe.
Avant la guerre, la famille Kac est plutôt laïque tout en se sentant très juive. La maman de Julia adorait recevoir ses neveux et nièces à l'occasion des fêtes juives.
Aujourd’hui, Julia n’a presque plus de rapport au judaïsme. Elle a intitulé son livre témoignage “Dieu était en vacances”. Sa judaïté a un peu refait surface avec ses enfants.
Le 16 juillet 1942, le jour de la rafle du Vel d’Hiv, il est 6 heures du matin lorsque la police française sonne à la porte. Julia Wallach a 17 ans.
Ce matin-là, le père de Julia est absent. Il est parti se cacher à Bry-sur-Marne pour ne pas être arrêté.
Julia et sa mère sont présentes. Julia, naturalisée française, n’est pas arrêtée. Ce n'est malheureusement pas le cas pour sa mère. C’est la surprise générale. On ignorait alors que les femmes et les enfants seraient inquiétés.
Julia essaie de faire sortir sa mère, en vain. Elle retrouve alors son père, se cache avec lui et son oncle jusqu’au terrible jour où ils sont tous arrêtés, le 24 avril 1943, à leur domicile. La famille Kac a été dénoncée par les voisins du premier étage.
Julia est incarcérée à Drancy puis déportée à Auschwitz-Birkenau le 23 juin 1943 par le convoi numéro 55. Elle a 18 ans.
“À Birkenau, de l’appel du matin, au coucher du soir, on ne pensait qu’à une chose : travailler pour recevoir de quoi manger et tenter de ne pas se faire prendre quand on essayait de voler un pain.”
“Le jour de la révolte des Sonderkommandos, nous voyions la scène de loin depuis le camp des femmes. Nous avons applaudi, j’ai même pleuré.”
Là-bas, Julia tombe très malade pendant près de deux mois. Elle a attrapé le typhus.
En janvier 1945, Julia subit la Marche de la mort et survit.
À son retour, Julia est orpheline. Mr. Erb, le père de son amie Odette Erb, “un grand patriote français”, l’aide à reprendre sa vie en main et à récupérer l’appartement de ses parents. Elle se souvient que, même pendant la guerre, en 1942, il lui apportait à manger.
En 1945-1946, elle rencontre son futur mari, Marcel Wallach. Ensemble, ils se sont reconstruits et ont fondé une “belle et grande famille”. “J’ai eu deux enfants, qui m’ont à leur tour donné cinq petits-enfants et neuf arrière-petits-enfants.”
Son mari, Marcel, a également été déporté à Auschwitz-Birkenau. Il a été libéré par les Américains à Buchenwald. Il n’a presque jamais parlé de sa déportation, même avec elle.
L’histoire de Julia est racontée dans un livre, écrit avec P.G. Il s’intitule “Dieu était en vacances”. Julia est très émue de la réalisation de ce livre et de la justesse avec laquelle l’auteure a retranscrit son récit. “Je suis fière de ma petite-fille Frankie, qui me pousse à témoigner.”
Aujourd’hui, Julia n’a plus peur de la dénonciation. Mais elle reste traumatisée par l’arrestation des Juifs. “Je ne veux plus que ça recommence. J’aurais peur si ça recommençait.”