Marseille
« Ma tante pleurait. Moi je n’ai pas pleuré. Je disais à ma tante : on va aller travailler à la campagne. »
Louise a toujours été sportive. Elle adorait la marche à pied et la gymnastique. C’est peut-être pour cela qu’à 96 ans, elle peut encore poser les mains au sol, sans plier les genoux. Cette marseillaise à l’accent chantant, espiègle, nous en a fait la démonstration le jour où nous sommes venus recueillir son témoignage.
Louise Marcos est née à Marseille le 14 janvier 1926.
Elle est la deuxième d’une famille de cinq enfants. Elle a deux frères, Marius et Vitalis, et deux sœurs, Denise et Reine.
Son père, Isaac Guelidi, est originaire de Grèce. Sa mère, Sol, est Turque. Ils sont venus s’installer en France en 1915.
La famille Guelidi était observante. Louise a fait sa Bat-Mitzvah. Tous les Chabbat, sa mère allumait les bougies. Le père de Louise lisait très bien l’hébreu et le judéo-espagnol. Il racontait des histoires dans cette langue et fréquentait la synagogue de la rue Breteuil. C’était un homme érudit.
En 1939, Louise va à l’école et obtient son certificat d’études avec mention bien.
Son quotidien de petite fille change lorsque son père, qui travaillait dans un moulin, a un accident de travail. Sa mère doit désormais travailler et Louise, âgée de 13 ans seulement, doit s’occuper du ménage, de faire la cuisine, la lessive... Elle emmène ses frères et sœurs à l’école, et s'occupe de son père. “J’étais la maîtresse de maison.”
En 1943-1944, malgré les rumeurs d’arrestations, Louise, âgée de 17 ans, n’a pas peur. “Je n’ai jamais eu peur.” “On entendait, ‘celle-là a été prise, celle-là est en prison’, mais on n’y pensait pas. On ne savait pas. On était Français, on se pensait à l’abri des arrestations.”
Mais un jour, Louise est déportée avec sa tante et sa petite cousine à Auschwitz-Birkenau.
Louise est arrêtée au mois de mai 1944, chez elle. Elle a été dénoncée par des voisins.
Ce jour-là, elle est seule à la maison avec sa tante et sa petite cousine de 12 ans, venues vivre avec eux. Les enfants sont à l’école et ses parents travaillent au marché. Instinctivement, Louise a déclaré être fille unique pour éviter que ses frères et sœurs ne soient pris.
Elle est emmenée à la rue de Paradis, où se trouve le siège de la Gestapo, avec sa tante et sa petite cousine. Elles sont ensuite conduites à la prison des Baumettes en car. Elles y restent quelques jours avant d’être transférées à Drancy.
Louise a été déportée à Auschwitz-Birkenau dans le convoi numéro 74, le 20 mai 1944. Elle est âgée de 18 ans. Sa tante et sa petite cousine sont toujours avec elle.
Un matin, elles sont mises dans un train, dans des wagons fermés. “Ma tante pleurait. Moi je n’ai pas pleuré. Je disais à ma tante : on va aller travailler à la campagne.”
À Auschwitz-Birkenau, Louise est sélectionnée pour le travail et se retrouve seule dans un baraquement de femmes. “Des fois on prenait la pelle et la pioche, on faisait des tranchées, des fois on allait ramasser des légumes.”
Le matin, c’était le réveil et l’appel. Il fallait que toutes les femmes soient devant la baraque. Elles dormaient à quatre ou cinq dans une “niche de chien”.
En janvier 1945, Louise survit à la Marche de la mort et est transférée par train au camp de Theresienstadt, où elle est libérée par les Américains.
À la fin de la guerre, elle pèse 35 kg et a le typhus.
Elle est fière d’avoir survécu, “d’avoir résisté, aux coups, au travail forcé.” “Les coups, je sais ce que c’est. Si vous touchez ma colonne vertébrale, elle n’est pas droite.”
Après la guerre, Louise a eu la chance de retrouver sa famille : ses parents, ses frères et ses sœurs.
Puis elle a rencontré son mari, Isidore Marcos, dans la queue pour refaire ses papiers. “Il était brave. Il a été 5 ans prisonnier de guerre. Il a fait quatre évasions” nous précise-t-elle fièrement.
Aujourd’hui, “je suis heureuse de vivre à l’âge que j’ai et d’être entourée de mes enfants et petits-enfants” dit-elle.