Lucie Cohen

Marseille

« On ne se rendait pas compte de la gravité de la situation. Alors, lorsqu’on nous a arrêtés, nous n’avons pas résisté. »

 

À 98 ans, Lucie garde le sourire. Avec son agréable accent chantant, elle nous a raconté son histoire et celle de sa famille.

 

Lucie Cohen, de son nom de jeune fille Lachkar, est née le 7 juillet 1923 à Nemours, en Algérie.

Elle est la cinquième enfant d’une famille nombreuse de huit enfants, six sœurs et deux frères : Léon, Edmond, Reine, Juliette, Lucie, Alice, Yvette et Denise.

Toute la famille, originaire d’Algérie, arrive en France métropolitaine au début des années 1930, et s’installe à Sens dans l’Yonne. À la déclaration de la guerre, la famille descend à Marseille.

La famille de Lucie est religieuse. Son père est très pratiquant même s’il n’inculque pas beaucoup la religion à ses filles. En réalité, Lucie n’y connaissait pas grand-chose avant la guerre. C’est bien plus tard, lorsque sa fille s’est mariée, qu’elle est revenue à la religion.

 

 

Lucie était dans un bar-restaurant avec ses sœurs, à Saint-Barnabé, un quartier du 12ème arrondissement de Marseille, lorsqu’elle a été arrêtée par la police française.

Les premières années de la guerre, “on ne se rendait pas compte de la gravité de la situation. On ne savait pas. Alors, lorsqu’on nous a arrêtés, nous n’avons pas résisté.”

Lucie est déportée le 20 mai 1944, avec trois de ses sœurs, Juliette, Alice, Yvette, et leur père, à Auschwitz-Birkenau dans le convoi 74. Elle a 20 ans.

 

 

Dans le train en direction d’Auschwitz-Birkenau, Lucie est à l'étroit, elle a faim, elle a soif. “C’était affreux” raconte-t-elle. Elle se souvient des seaux hygiéniques et de l’odeur pestilentielle.

C’est à son arrivée à Auschwitz-Birkenau que Lucie ressent de la peur pour la première fois. Et de la honte, lorsque les officiers allemands lui demandent de se déshabiller devant d’autres hommes.

Elle est sélectionnée pour le travail forcé. Avec ses sœurs, elles sont envoyées au block 31. Pendant quelque temps, elle travaille en cuisine, mais pas longtemps. Elle est ensuite assignée au champ de carottes.

“C’était dur, si dur, les coups, les appels du matin. Parfois je ne pouvais pas tenir.”

Les quatre sœurs se soutiennent les unes les autres. Juliette lui donnait de temps en temps son morceau de viande.

 

 

Peu de temps avant la libération, Lucie tombe malade. Elle a la gale, elle est maigre. Elle est envoyée au Revier, l’hôpital du camp ou “le mouroir du camp”. Sans le savoir, elle échappe ainsi à la Marche de la mort, mais pas ses sœurs.

Elle est libérée par les Russes le 27 janvier 1945.

À la libération, “ils ont distribué de la soupe mais moi je n’en voulais pas, je voulais un café, j’avais envie d’un café”. Mais Lucie pèse 23 kg. Elle est tellement maigre qu’elle doit se faire nourrir comme un bébé et réapprendre à manger, petit à petit, des quantités nécessaires à son rétablissement.

Elle restera sept mois en convalescence.

 

 

À son retour, elle retrouve Juliette, Alice et Yvette. Toutes trois ont également survécu à leur déportation. Elle retrouve sa maman qui était cachée avec Denise, sa sœur cadette, et sa sœur aînée Reine cachée avec sa fille et la fille de son frère Edmond.

Seul son père n’a pas survécu. La dernière vision que Lucie garde de son père, c’est lui dans le camp, en train de ramasser les livres en hébreu qui sont sur le sol.

Après la guerre, sa sœur aînée Reine a pris soin de la famille. C’est elle qui s’est occupée de ses petites sœurs, de la maison, de tout. “Maman était déjà âgée.”

 

 

Aujourd’hui, Lucie est particulièrement fière de sa famille. Elle a quatre enfants et deux arrière-petits-enfants. “Ils sont tous géniaux.” Ce qu’elle aime, c’est cuisiner pour eux, notamment les plats traditionnels.

Elle craint que cela ne recommence, “que D.ieu nous en préserve, mais on ne se laissera pas faire.”