Marseille
« Quand j’ai vu ma mère, je ne l’ai pas reconnue, j’ai eu peur. »
Décembre 2021. Monique nous reçoit dans son appartement marseillais. Marseille, c’est chez elle. Sa famille habite la cité phocéenne depuis six générations.
Monique Cohen est née à Marseille le 10 juillet 1941.
Pendant la guerre, enfant, elle a été cachée avec sa petite sœur Nicole, âgée de seulement 18 mois. Monique n’a que 3 ans.
Des souvenirs, elle en a donc peu. Mais des traumatismes, bien plus.
Déjà petite, au début de la guerre, elle avait peur. Elle faisait des cauchemars, rêvait qu’on vienne l’arrêter. L’appréhension, l’angoisse, faisaient partie de son quotidien de petite fille.
Après la rafle du Vieux Port, les 22 et 23 janvier 1943, la famille Cohen, inquiète, s’installe dans le petit village d’Eyguières.
En mai 1944, la famille est dénoncée mais la boulangère du village les prévient.
Le 20 mai 1944, des miliciens se rendent au domicile familial. La maman de Monique, Henriette Cohen, est arrêtée. Elle sera emmenée à la prison des Baumettes avant d’être transférée à Drancy, puis déportée de Drancy à Auschwitz-Birkenau par le convoi 76.
Son père, Fernand Cohen, s’enfuit et conduit ses petites filles dans le village voisin, à Salon-de-Provence. Là-bas, il se rend à la ferme de Monsieur et Madame Vincent. Le couple accepte de cacher Monique et sa petite sœur Nicole.
Monique se souvient bien des toilettes à la ferme, et du chemin pour s’y rendre. Elles étaient dehors, et Monique avait peur de traverser la cour.
Enfant cachée, Monique demandait tout le temps après sa mère. “Toute ma vie, je me suis sentie coupable parce que maman est partie.”
Pendant la guerre, le père de Monique entre dans le maquis et participe à la résistance. Il parvient à rendre quelques fois visite à ses filles, et amène régulièrement à manger chez les Vincent. Monique se souvient de son père, un homme courageux, qu’elle admirait beaucoup. “C’est la personne qui me rassurait le plus, il n’avait jamais peur.”
À la fin de la guerre, Monique a retrouvé sa mère. Henriette a survécu à sa déportation à Auschwitz-Birkenau. Lorsque Monique est conduite à la gare pour retrouver sa mère, elle ne la reconnaît pas. À son retour, Henriette pèse 35 kg, elle a le crâne rasé et des dents cassées. Monique avait gardé d’elle l’image d’une femme coquette et apprêtée. “Quand je l’ai vue, je ne l’ai pas reconnue, j’ai eu peur.”
Henriette est décédée le 24 juin 2019 à l’âge de 101 ans. Elle était la doyenne des survivants d’Auschwitz-Birkenau.
De ces épreuves, Monique est sortie grandie et fière, particulièrement d’avoir été infirmière. Elle adorait son métier. Son expérience en tant qu’Infirmière sans Frontière lui a permis de réaliser qu’elle pouvait être utile.
Aujourd’hui, ce qui lui apporte de la joie, c’est sa famille, ses frères et sœurs. Après la guerre, la famille à nouveau réunie s’est agrandie de quatre autres enfants : Liliane, Michelle, Jean-Luc et Bernard.
Monsieur et Madame Vincent ont été reconnus Justes parmi les Nations, le 13 septembre 2000.
La famille Cohen et la famille Vincent ont entretenu les liens pendant de longues années. Ils passaient certains de leurs dimanches ensemble, dans la ferme des Vincent.