Nicole Kahn

Strasbourg

« Nous étions toujours sur la liste des personnes déportables, c’est un miracle que nous ne soyons jamais partis…»

 

Nous rencontrons Nicole en décembre 2021, dans son appartement de Strasbourg. Nicole nous hâte d’aller au salon, “où il fait bien plus chaud !”. Les bredele alsaciens sont déjà sur la table.

 

 

Nicole Kahn est née en 1933, à Strasbourg. Elle a deux grands frères, Francis et Georges. Ses parents sont Français et, contrairement à beaucoup de juifs alsaciens, ils ne quittent pas le pays. Son père, officier de réserve, l’a souvent répété “Je ne quitterai jamais la France !”.

Nicole a 6 ans quand elle part se réfugier, avec sa famille, à Saint-Malo, en Bretagne. La famille part ensuite pour Bordeaux, puis s’installe dans différents villages à travers la France.

Ils arrivent finalement à Marseille et Nicole s’y sent en sécurité, entourée de ses parents.

Ses frères et son père s’engagent alors dans la Résistance.

 

 

Le 4 février 1944, la milice française frappe à leur porte : la famille est arrêtée pour ses activités liées à la Résistance. “Comme nous étions juifs, c’était la double peine…” précise Nicole.

La famille est internée à la prison des Baumettes, à Marseille.

Le 9 mars 1944, Nicole et sa famille sont transférées au camp de Drancy. “On nous a donné des boîtes de sardines, et pas d’eau” détaille Nicole.

À l’arrivée, au moment de descendre du camion, un homme aide le père de Nicole et lui glisse : “Déclare ta femme non-juive !”.

 

 

Nicole raconte : “Mon père a donc déclaré ma mère sous le nom de Edith Blanc - alors qu’elle s’appelait ‘Bloch’. Il a fallu inventer une histoire et une biographie qui tiennent la route et que nous avons dû répéter tout au long des interrogatoires.”

Le père de Nicole raconte que sa femme vient de Lorraine. Ainsi, la région ayant été lourdement bombardée, il était aisé de justifier une absence de papiers.

“J’ai eu de la chance car j’avais une maman extraordinaire. Elle ne s’est jamais démontée !” dit Nicole en souriant.

Pendant neuf mois, la famille ment, suivant scrupuleusement les détails de l’histoire familiale inventée.

“Nous étions toujours sur la liste des personnes déportables, c’est un miracle que nous ne soyons jamais partis…” souffle Nicole.

 

 

De Drancy, Nicole a quelques souvenirs de la vie au camp. Elle se souvient de son amie Janine, une fillette de son âge qui vient de Metz. Elle raconte aussi comment, le 14 juillet 1944, la chambrée de son père s’est mise à chanter la Marseillaise. “Français, jusqu’au bout des ongles !” lance fièrement Nicole.

La vie à Drancy est aussi ponctuée de drames. “J’ai vu arriver ma grand-mère, des cousins, des cousines, et je n’ai jamais pu leur parler, pour ne pas risquer de nous faire démasquer. Ils ont été déportés et ne sont jamais revenus”.

Des années plus tard, Nicole, avec le concours de Richard Aboaf, a fait poser à Strasbourg des stolperstein à leur mémoire.

 

 

Juste après la libération, l’un des frères de Nicole s’est engagé dans l’armée française. Il disparaît le 26 septembre 1944, à Gravelottes. “Le grand drame de notre famille…” soupire Nicole.

 

 

De retour à Marseille, Nicole termine sa scolarité.

Quelques années plus tard, elle rencontre Jean, qui devient son mari. “Nous avons partagé les mêmes valeurs toute notre vie. Nous étions de vrais Français juifs !” nous dit Nicole.

Pilier du judaïsme français, Jean Kahn a notamment été Président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) de 1989 à 1995. C’est avec une émotion particulière que nous évoquons son souvenir à l’occasion de notre rencontre avec Nicole.

Nicole aussi est une femme d’engagements. Elle a présidé le Comité de l’ORT Strasbourg et a été très investie dans les associations pour les droits des femmes. Elle continue de militer pour l’indépendance et l'accès aux droits sociaux des femmes.

 

 

Avec Jean, Nicole a construit une belle famille. Elle a eu deux fils, et compte aujourd’hui cinq petits-enfants et deux arrières petits-enfants. 

C’est de cette famille, et de “l’harmonie familiale” que Nicole est la plus fière aujourd’hui. Elle évoque aussi le “souvenir lumineux” de son mari, qui l’accompagne au quotidien.

Quand on demande à Nicole ce qu’est, pour elle, la liberté, Nicole répond que la plus belle des libertés, c’est celle que la République nous promet.

Française, juive, et engagée. Depuis toujours, et à jamais.