Marseille
« Pendant toute l’occupation j’ai eu peur. Même en zone libre, j’ai continué d’avoir peur ».
Nous sommes en début d’après-midi, dans le courant du mois de décembre, à Marseille. Paulette Payan nous reçoit dans son appartement ensoleillé. Elle nous ouvre la porte puis marche prudemment jusqu’au canapé.
“J’ai peur de tomber. Je suis déjà tombée. Je vis seule et j’ai peur de retomber” nous dit-elle.
Paulette a 98 ans. Il y a 80 ans, elle échappait de peu à la rafle du Vel d’Hiv.
Paulette est née à Kaunas en Lituanie, le 24 décembre 1923.
Ses parents, Meyer et Ona Séferis, quittent la Lituanie pour la France alors qu’elle est âgée de 18 mois. La famille Séféris (Paulette, ses parents et ses sœurs Sarah-Rachel et Jacqueline) s’installe rue Jules Ferry à Bagnolet. Meyer et Ona ne sont pas Français. Seule leur fille cadette Jacqueline est née en France.
En 1942, Paulette a 16 ans. Lorsqu’elle prend le métro, elle monte dans le dernier wagon, celui réservé aux Juifs. Elle porte l’étoile jaune.
La veille de la rafle du Vel d’Hiv, le jeune homme qu’elle fréquente - qui n’est pas juif -, proche du Commissaire de police de Vincennes, l’informe “d’une rafle monstre de juifs dans toute la région parisienne.”
Paulette avertit immédiatement sa mère et sa petite sœur (Sa sœur aînée Sarah-Rachel, mariée, est en zone libre. Son père est absent.). Rapidement, elles doivent s’organiser et trouver un lieu où se cacher. Elles ont alors la chance d’être un peu protégées par leurs voisins.
La nuit du 15 au 16 juillet 1942, Ona et sa fille cadette Jacqueline dorment chez les voisins du dessous ; Paulette dort chez son ami.
Le jour de la rafle du Vel d’Hiv, les gendarmes débarquent au domicile de la famille Séferis. Ils ne trouvent personne mais posent les scellés sur l’appartement. La famille n’est plus jamais entrée dans son domicile. “Nous n’avons rien récupéré.”
Ce matin-là, grâce à son ami, Paulette, sa mère et sa sœur Jacqueline ne sont pas arrêtées. Elles échappent à la rafle du Vel d’Hiv. Mais leur périple commence.
Il faut passer la ligne de démarcation. Ona Séferis, très débrouillarde, malgré le manque de moyens, trouve l’adresse d’un passeur sur le Cher.
Paulette, sa mère et sa petite sœur Jacqueline retirent l’étoile jaune cousue sur leurs vêtements, prennent le train, descendent du train, puis marchent 17 kilomètres à pied pour rejoindre le point de rendez-vous.
Jacqueline pleurait, n’arrivait plus à marcher. Toutes trois s’arrêtent, se restaurent et dorment. Puis, le lendemain matin, elles rejoignent le passeur qui les fait traverser le Cher. Jacqueline étant trop petite, il la passe sur ses épaules.
La famille parvient à atteindre la ville de Marseille, où se trouve Sarah-Rachel.
“Pendant toute l’occupation j’ai eu peur. Même en zone libre, j’ai continué d’avoir peur.”
Lorsque le père de Paulette, Meyer, tente de traverser la ligne de démarcation de son côté, il est arrêté et assigné à résidence en Corrèze avec sa sœur Zina.
Il se tourne alors vers Henri et Claire Guigue, des clients à lui installés dans le Vaucluse. Le père de Paulette était préparateur en soie de porc – il travaillait la soie de cochon pour fabriquer des brosses et des balais.
Les Guigue parviennent à le faire libérer sous prétexte de le faire travailler dans leur ferme. Ils le sauvent ainsi de la déportation.
Lorsqu’en novembre 1942, les Allemands font leur entrée dans Marseille, Paulette, sa mère et sa sœur, rejoignent Meyer chez les Guigue. Ils resteront cachés à la ferme, à Vaison-la-Romaine, pendant 2 ans, soit jusqu’à la fin du mois d’août 1944. Paulette, ses parents et sa sœur ont survécu à l’Occupation cachée chez la famille Guigue.
Le 20 juin 1990, l’Institut Yad Vashem de Jérusalem a décerné à Henri Guigue, à son épouse Claire et à leur fils Pierre, le titre de Juste parmi les Nations.
Tant qu’ils ont eu de l’argent, Paulette et sa famille ont vécu avec ce qu’ils avaient. Puis Paulette a travaillé à l’usine Fabre où elle était sténodactylo, et la famille a vécu avec ce qu’elle gagnait.
“Ma jeunesse et mon enfance n’ont pas été florissantes” nous dit-elle. C’est pour cela que Paulette est si fière de sa réussite universitaire. Elle a repris ses études à l’âge de 54 ans et est devenue docteur en Lettres, mention Très bien. C’était une passion pour cette femme qui a toujours beaucoup lu. Pour reprendre ses études, Paulette a même dû passer l’examen du baccalauréat.
Paulette est une femme courageuse, indépendante. Tout comme sa mère, “ma mère, c’était quelqu’un de vraiment remarquable. C’était une femme forte.” Ce qu’elle nous transmet, c’est l’esprit de survivance.
Aujourd’hui, Paulette est heureuse. Heureuse de se retrouver parmi les membres de sa communauté, de faire partie d’une communauté. “C’est quelque chose que j’ai en moi. Je me suis toujours sentie profondément juive.” Enfant, à la maison, la famille n’était pas pas très religieuse mais célébrait toutes les fêtes.
“C’est probablement lié au fait d’avoir eu une mère très juive. Ma mère était très pieuse.” Même si cela ne se voyait pas forcément par des actions, ou de la pratique religieuse.
Paulette est heureuse de la vie qu’elle a eue avec son mari Jean Payan, “un homme formidable” , de ses deux fils et de ses deux petits-enfants.