Rachel Jedinak

Paris

« Ma mère m'a giflée violemment. Cette gifle, la seule de ma vie, m'a sauvée. »

 

Nous avons rencontré Rachel en octobre 2020, à l’occasion de l’exposition Lest We Forget – N’oublions pas, à l’UNESCO.

Lors de son témoignage, nous avons été touchés par sa douceur et sa fragilité. Pendant la guerre, Rachel a souvent eu peur. Longtemps après la guerre, elle a continué d’avoir peur.

Enfant, Rachel a subi l’Exode, deux rafles et a été enfant caché. Cela laisse des traces. Mais elle s’est reconstruite et le travail de mémoire qu’elle continue de fournir avec détermination est impressionnant.

 

Rachel Jedinak, nom de jeune fille Psankiewicz, est née le 30 avril 1934 à Paris. Ses parents, Abram et Chana Psankiewicz, sont polonais. Elle a une grande sœur, Louise.

La famille habite rue Duris, dans le 20ème arrondissement de Paris.

Rachel a toujours su qu’elle était juive mais sa famille n’était pas pratiquante.

 

Au début de la guerre, son père s’engage pour défendre la France et rejoint la légion étrangère.

En 1940, Rachel a 6 ans. Avec sa mère et sa sœur, elles quittent Paris. C’est l’Exode. Je suis partie avec ma maman et ma sœur dans un camion que possédaient mon oncle et ma tante. Elles fuient vers le sud pour éviter l’avancée allemande. Il y a beaucoup de femmes et d’enfants. “J’ai le souvenir de femmes poussant des landaus.” Les hommes sont sur le front.

“Nous nous arrêtions tous les soirs. Il fallait bien nous nourrir. Un soir, dans une clairière je suis chargée, avec ma cousine Marie, d’aller chercher de l’eau au bout de la clairière. Deux ou trois petits avions piquèrent très bas sur nous. Les adultes ont crié : ‘Couchez-vous, les Italiens nous canardent’. J’ai cru que j’allais mourir.”

Rachel, Louise et leur maman sont rattrapées près d’Angoulême par l’armée allemande. Elles rentrent à Paris.

 

Fin septembre 1940, son père est démobilisé. Il rentre à la maison. Quelques jours plus tard, le 4 octobre 1940, les lois antijuives sont promulguées. Abram Psankiewicz se fait recenser en tant que juif.

Rachel n’était qu’une enfant, mais elle se rappelle qu’ils devaient faire les courses entre trois et quatre heures de l’après-midi, que lorsqu’ils prenaient le métro, ils devaient monter dans le dernier wagon et qu’elle n’avait pas le droit de jouer dans les jardins.

Le 14 mai 1941, son père Abram est convoqué. C’est la rafle du "billet vert". Il reçoit chez lui une convocation. “Ma mère dit à mon père : ‘N’y vas pas, c’est un piège’.” Mais ce dernier a confiance en la France, pays des droits de l’homme. Il se rend au commissariat. “Il est parti et nous ne l’avons jamais revu.” Il est arrêté et envoyé avec 3 700 autres hommes juifs étrangers dans les camps du Loiret. Il y reste 13 mois puis est déporté à Auschwitz-Birkenau le 28 juin 1942, dans le convoi 5.

 

Le 15 juillet 1942, la veille de la rafle du Vel d’Hiv, Chana Psankiewicz entend des rumeurs selon lesquelles les femmes et les enfants vont être arrêtés.

Elle envoie Rachel et Louise chez leurs grands-parents paternels, pensant les mettre en sécurité.

Mais le 16 juillet 1942, à l’aube, on frappe à la porte du domicile des grands-parents. “Police, ouvrez !.” Deux policiers français, un en uniforme et un en civil. “Allez habillez-vous vite, vous allez rejoindre votre mère !” Rachel et Louise ont été dénoncées par la concierge de leur immeuble.

Elles rejoignent leur mère et ont cinq minutes pour préparer quelques affaires à emporter. Rachel se souvient que ce jour-là “il faisait déjà à l’aube une chaleur épouvantable, étouffante”.

Elles sont conduites au centre de la Bellevilloise, dans le 20ème arrondissement, qui sert de lieu de regroupement de la rafle du Vel d'Hiv. “Nous sommes partis à pied. Le flot grossissait. Et nous étions emmenés comme un troupeau. Les mamans hurlaient ‘Où allons-nous ? Où nous emmenez-vous ?’”

À la Bellevilloise, il y a une issue de secours. Elle n’est gardée que par deux policiers. Chana ordonne à ses filles de discrètement se poster devant et de s’enfuir dès qu’une occasion se présente. “Je n’ai pas voulu lâcher la main de ma mère. Je me suis cramponnée à elle.”

“Ma mère m'a giflée violemment. Cette gifle, la seule de ma vie, m'a sauvé.”

 “Je suis partie avec ma sœur vers l’issue de secours. Et là les deux policiers en faction ont tourné la tête pour ne pas nous voir sortir.” Rachel et sa sœur retournent en courant chez leurs grands-parents paternels. Rachel a 8 ans, Louise 13. Elles portent l’étoile jaune.

Chana Psankiewicz, puisqu’elle n’a plus d’enfants qui l’accompagnent, n’est pas envoyée au Vel d’Hiv. Elle est transférée à Drancy. Rachel et Louise s’y rendent à quelques reprises. “On prenait le bus pour aller la voir.”

Le 29 juillet 1942, Rachel se rend avec sa sœur à Drancy dans l’espoir d’apercevoir leur mère. Ce jour-là, Louise aperçoit sa mère dans un bus, debout, serrée contre les autres femmes. Ce bus partait en direction de la gare de Bobigny. Elle est déportée à Auschwitz-Birkenau par le convoi 12.

 

Les deux sœurs restent avec leurs grands-parents. La vie reprend petit à petit.

Jusqu’au 11 février 1943, lorsqu’une nouvelle rafle a lieu. “Il faisait un froid violent. La neige était tassée sur la chaussée des trottoirs, et nous tombions beaucoup.”

Elles sont emmenées avec leur grand-mère au commissariat du 20ème arrondissement. Leur grand-père, paralysé et en fauteuil roulant, reste seul à son domicile. Elles sont conduites au sous-sol du bâtiment. “C’est cauchemardesque, dans cette cave.”

Rachel parvient à s’enfuir avec sa sœur. Quelques heures après, leur grand-mère est libérée et rentre également à la maison. Mais les petites filles ne peuvent plus rester à Paris, chez leurs grands-parents, c’est trop dangereux. 

 

Elles sont placées dans un centre pour enfants juifs de l’UGIF. Rachel est séparée de sa sœur.

“Nous étions constamment en danger.” Lorsque les convois n’étaient pas complets, qu’il manquait quelques personnes, les nazis venaient les chercher dans des centres pour enfants.

Un dimanche sur deux, nous allions rendre visite à un oncle et une tante encore à Paris. Alors, un jour, “nous sommes sorties, nous nous sommes abritées sous un porche. Ma sœur avait un petit canif, nous avons décousu nos étoiles. On ne pouvait plus nous retrouver.”

En janvier 1944, grâce à de faux papiers, “ma cousine âgée de 19 ans, m'amène à Château- Renaud près de Tours, où étaient ses frères et sœurs”. Rachel Psankiewicz devient Rolande Samier.

Rachel est alors placée chez une nourrice. Mais celle-ci est “acariâtre, désagréable.” Ses quatre petits-enfants vivent aussi avec elle. Rachel est mise à l’écart et traitée avec dureté. Le dimanche, elle n’a pas le droit d’avoir une part de gâteau.

Lorsque la nourrice découvre que Rolande Samier est en réalité Rachel Psankiewicz, les choses empirent pour la petite fille de 9 ans. “J’ai été battue, menacée de dénonciation.”

“Ne me demandez pas le nom de ma nourrice, je l’ai occulté, c’était trop lourd.”

Sa sœur Louise, âgée de 14 ans, est placée comme bonne chez un gentil couple, les Proust. Par chance, Mme Proust prévient que la nourrice de Rachel se comporte mal. “On est venu me chercher un mois avant la libération de Château-Renaud par les Américains.”

Rachel rentre à Paris début septembre 1944. Ses parents ne sont pas revenus de déportation.

 

Aujourd’hui, Rachel est fière de sa fille et de ses brillants petits-fils. “Ils sont ma fierté et ma revanche.”

Elle est également fière d’avoir été nommée Officier de la Légion d’Honneur.

En novembre 2021, cette distinction lui a été remise au nom du Président de la République par Serge Klarsfeld à la Mairie de Paris, en reconnaissance du travail accompli par elle-même et à travers l’association Comité Tlemcen qu’elle préside.

“Nous avons été les premiers, dans le 20ème arrondissement, à apposer des plaques dans les écoles à la mémoire des enfants disparus.”