Sarah Castel

Ile-de-France

« Je n’ai pas le souvenir d’avoir appelé quelqu’un maman ».

 

Sarah Castel est née le 2 novembre 1936 à Paris. Avec sa sœur Gitla, née en 1932, elles sont les filles cadettes de M. et Mme Rosenblum. Elles ont six autres frères et sœurs. 

La famille Rosenblum, famille juive très religieuse, originaire de Pologne, émigre en France en 1929. Ils s’installent dans le 4ème arrondissement de Paris, Rue Sainte-Croix de la Bretonnerie. Ils mangent cacher, célèbrent les fêtes.

Le père est “sho’het”, il s’occupe de l’abattage rituel. La mère travaille dans une épicerie, rue des Ecouffes. Parfois, elle allait aux Halles la nuit, rentrait épuisée et faisait des pâtisseries. Malgré cela, elle est disponible pour ses enfants.

Sarah se souvient particulièrement de la cuisine séparée dans laquelle on cuisinait les repas composés de laitage, à l’autre bout de l’appartement. Sa mère lui cuisinait ses plats favoris.

 

Le matin du 16 juillet 1942, jour de la rafle du Vel d’Hiv, des policiers français se présentent au domicile de la famille Rosenblum.

“On nous a prévenus mais on n’a pas compris, on est restés” explique Sarah.

Cette semaine-là, Gitla et Sarah, âgées de 10 et 6 ans, doivent partir en colonies de vacances. Les valises sont prêtes.

Elles ne se rendent pas vraiment compte que c’est la guerre, trop jeunes pour comprendre. “Mais nous avons porté l’étoile jaune” précise Gitla.

Jusqu’à ce que la police française vienne les arrêter, avec leurs parents, leur frère Isaac et leur sœur Pauline. On leur demande de préparer quelques affaires. Puis tous les six sont emmenés.

 

Ils sont tout d’abord entassés dans une école, puis une fois les autobus arrivés, sont conduits au Vélodrome d’Hiver.

Les deux sœurs se souviennent de leur mère, qui dans la précipitation, avant de partir de chez elle, pense à prendre les bougies de chabbat, des bougeoirs et une nappe blanche. “J’ai le souvenir que c’était un jeudi” déclare Gitla.

À l’arrivée, on les fait asseoir sur des gradins de courses cyclistes. L’atmosphère est tout de suite très différente. Petit à petit, le Vélodrome se remplit. La dureté de la situation commence à se faire ressentir. Certains essaient même de se sauver.

Sarah n’a que 6 ans. Ses souvenirs sont parfois flous. Mais elle voit encore cette lumière bleuâtre, elle se rappelle de l’odeur pestilentielle des toilettes pleines. Des milliers de personnes sont entassés dans ce vélodrome.

 

Au bout de quelques jours, des autobus conduisent les six membres de la famille Rosenblum au camp d’internement de Pithiviers.

Dans le camp, “la vie est difficile, un avant-goût de la vie d’internés” selon Gitla. Elles dorment dans des lits en bois superposés. Mais la famille est encore réunie.

“Un jour, on nous a fait venir devant les barbelés, et nos parents étaient de l’autre côté des barbelés. Ils nous ont dit ‘dites au revoir à vos parents’.” raconte Gitla  Leur frère Isaac était avec leur père et leur sœur Pauline avec leur mère. Sarah, seulement âgée de 6 ans, garde en tête un souvenir précis de cette séparation : “La dernière image que j’ai de mon père, c’est lui tête nue, barbe rasée”.

Les deux jeunes sœurs se retrouvent seules.

Un peu après, elles sont transférées à Drancy. “À Drancy on traînait, on attendait” raconte Sarah. Elles ont faim. Gitla vole une carotte dans la cuisine. “On m’a mise au cachot, au sous-sol. Et ma sœur [Sarah] s’est couchée devant l’entrée du cachot et hurlait.” Elle ne voulait pas rester seule.

À Drancy, les deux sœurs sont dirigées vers un autobus. Elles montent dedans, suivent les directives. Mais Gitla, 10 ans et demi, refuse de rester dans le bus. “J’ai dit ‘mais viens, viens’. Sarah me répond ‘non, on va nous fusiller’. Et je me souviens que celui qui dirigeait le camp de Drancy était à proximité. Je le revois. Je revois cette scène. Et on est descendus.” “C’est ce qui nous a sauvées” assure Sarah. “J’en suis fière aujourd’hui mais je n’avais pas conscience de ce que je faisais, ni conscience du risque. Je ne savais pas alors où allait le bus.” réagit Gitla. Elles retournent dans la chambre où elles étaient, et attendent.

“Nous avions un oncle à l’extérieur, le frère de mon père, oncle Raymond, qui nous a fait parvenir un message : ‘Je m’occupe de vous’ ” explique Gitla. Il avait des relations, il était ami avec un monsieur qui s’est engagé dans la Gestapo française. Grâce à cette relation, il réussit à faire sortir ses nièces de Drancy. Le 15 octobre 1942, un avis de libération pour Sarah et Gitla parvient au camp. On vient les chercher.

 

On les conduit chez leur belle-sœur au 32 rue des Blancs-Manteaux. “Nous étions sales, laides, pleines de boutons, de poux. Horrible, vraiment horrible” raconte Gitla. Cette jeune femme avait déjà une petite fille de 3 ans et demi. Malgré les risques, elle garde quelque temps Sarah et Gitla avec elle. “C’était une femme courageuse, formidable.”

Puis l’UGIF (Union Générale des Israélites de France) les a ensuite placées dans des familles, à la campagne, dans la Sarthe.

Pour la première fois, le chemin des deux sœurs se séparent. Chacune est cachée dans une famille différente, chez des paysans qui étaient payés par l’UGIF.

“Moi, j’étais dans une famille horrible. J’étais la bonne” déclare Sarah. Petite fille de 6 ans et demi, elle devait tout faire et se faisait souvent punir. Les mauvais traitements ont eu raison de sa santé et de sa joie de vivre. “J’ai été emmené 3 mois à l’hôpital pour me remettre” raconte-t-elle.

L’UGIF a ensuite placé Sarah dans une autre famille, correcte.

 

À la fin de la guerre, leur frère Raymond qui était au maquis est venu les chercher pour les ramener à Paris.

Leurs parents ne sont pas revenus. Ni leurs frères Paul, Isaac et leur sœur Pauline.

 

Aujourd’hui Sarah vit en banlieue parisienne. Elle est l’heureuse et fière maman de trois hommes accomplis.