Sophie

Strasbourg

« Le 11 novembre 1942. La guerre commence ce jour-là pour moi…»

 

En décembre 2021, Sophie nous a reçu chez elle. Sa chaleur et son rire communicatif nous ont vite fait oublier le froid strasbourgeois.

 

 

Sophie est née en 1929, dans le Bas-Rhin. Ses parents divorcent et elle reste vivre avec sa mère et son jeune frère, Benoît-Benjamin. À la maison, on mange casher et on pratique le judaïsme de manière traditionaliste. 

 

Pour ses dix ans, Sophie reçoit une poupée et sa mère lui explique qu’elle va pouvoir choisir sa tenue et la faire coudre chez une couturière. Le 15 juillet 1940, c’est le grand jour ! Sophie rentre de chez la couturière avec sa poupée habillée. Elle croise son frère qui lui indique qu’il faut partir, à la hâte.

Avec sa mère, son frère, et des milliers de personnes, elle se dirige vers le Jura où elle passe plusieurs mois. Elle est en zone libre.

 

11 novembre 1942. “La guerre commence ce jour-là pour moi…” confie Sophie. “Il n’y avait plus de zone libre, on avait peur tout le temps”. 

 

Sophie va à l’école par intermittence, jusqu’en février 1944, date à laquelle le danger devient trop important.

 

Le 27 avril 1944, elle est arrêtée avec sa mère et son frère. Ils sont d’abord internés dans une caserne désaffectée, puis déportés à Drancy. Sophie a 15 ans.

 

 

Le 20 mai 1944, Sophie et sa famille sont déportés vers Auschwitz-Birkenau. “Je me souviens de la gare de Bobigny. C’était terrible d’arriver là. C’était très impressionnant.” raconte Sophie. Le terrible voyage dure trois jours. “Il y avait deux messieurs, un vieil homme, et un petit garçon de 18 mois, très gentil” se souvient-elle, le regard un peu dans le vide.

 

Un peu avant d’arriver dans le camp, elle entend sa mère lui parler pour la dernière fois. “Sentant que nous allions être séparées, Maman m’a dit “Agis comme si j’étais toujours avec toi”.

 

Sur le quai de Birkenau, c’est la cohue. Après la sélection pour le travail, Sophie se retrouve seule et se rapproche alors de Sarah, une jeune fille qu’elle a connue à Drancy. 

 

Sophie raconte la désinfection, le rasage, le tatouage, la nudité des jeunes femmes sur les gradins. On lui donne une robe, une culotte et un fil et une aiguille pour coudre son numéro. Elle est ensuite emmenée dans un block, où elle découvre les coyats - les couchettes - et, plus tard, les latrines. “Il fallait s’a-da-pter” martèle Sophie. “Si on ne s’adapte pas, c’est terminé”.

Chaque soir, pendant quelque temps, Sophie pense qu’elle va retrouver sa mère et son frère. Il n’en sera rien.

 

 

Sophie reste un long moment en quarantaine, dans un block dédié. “C’est ce qui m’a sauvée. Les nazis avaient très peur de l’épidémie de typhus, ils ne prenaient aucun risque.” explique t-elle. Les appels du matin et du soir sont très longs, et le travail forcé est épuisant. Sophie peut compter sur son amie Sarah, “une personne très dégourdie”.

Un jour, Sarah l’entraîne à l’arrière du camp, près des amoncellements de cadavres. “Nous nous cachions ici pour éviter le travail. Aucun nazi ne serait venu jusque ici…”.

 

Après la quarantaine, Sophie est affectée à un Kommando de travail à l'extérieur du camp. Un jour, elle se fait brutalement battre par un SS. “Je sens encore sa botte sur ma joue” nous dit Sophie, en caressant de sa main sa joue droite. Sophie est envoyée au Revier, à “l’infirmerie” du camp. Elle échappe ainsi à deux sélections pour la chambre à gaz. 

 

À la fin du mois d’octobre 1944, Sophie monte à nouveau dans un train. Direction Bergen-Belsen. Le camp est déjà surpeuplé, il n’y a plus de place dans les blocks. En attendant, deux grandes tentes sont dressées. Sophie dort dans l’une d’elles. Un soir, le vent est tel que la bâche se déchire. “Je voyais le ciel et les étoiles au-dessus de ma tête” nous dit Sophie en regardant vers le ciel. 

Un jour, sa responsable de block, Anne-Lise Stern, a la possibilité de choisir 200 personnes pour partir travailler dans une usine d’aviation à Raguhn. “J’ai menti sur mon âge et j’ai été choisie”. 

En avril 1944, Sophie est donc de nouveau déportée à bord d’un train. Un voyage terrible de 8 jours au cours duquel de nombreuses personnes meurent. Les portes du convoi s’ouvrent enfin : elle est à Theresienstadt.

L’enfer se termine quelques mois plus tard, et c’est le retour en France, en avion sanitaire.

 

La maison de Sophie est pleine de photos et de tableaux, dont certains qu’elle a réalisés. Une belle nappe alsacienne décore la table de la salle à manger. Dessus, un Kouglof et du café, que Sophie nous invite à consommer sans modération, en allemand - qu’elle parle couramment - ou en français.

 

Après la guerre, Sophie a vécu dans un foyer pour jeunes filles, puis pour célibataires. 

 

Sophie a ensuite travaillé longuement à la sécurité sociale. “J’ai beaucoup aimé mon travail” dit-elle fièrement. 

 

Luigi et Paul font la vaisselle. Sophie me demande de lui apporter sa loupe pour qu’elle regarde les autres photos de Luigi. “C’est beau, mais on est vieux !” dit-elle dans un éclat de rire qui semble traverser le temps.